Depuis le démantèlement de la « jungle de Calais », une polémique traverse tous les partis et pollue les réseaux sociaux. C’est à qui sortira les arguments les plus saugrenus pour s’opposer à l’accueil de migrants et de réfugiés, et pour surpasser le FN qui n’est plus le seul à porter le « bonnet d’âne » dans ce domaine… Et pourtant, depuis que l’espèce humaine existe, elle n’a cessé de bouger et de parcourir tous les continents (sans frontières!) de la planète, pour des motifs économiques, climatiques ou de guerres.

Migrations de la guerre

En ce qui nous concerne directement, les régions occitanes de Provence et de Languedoc par exemple, qui comptent le plus fort pourcentage d’électeurs frontistes ou de la droite extrême en général, sont celles qui ont vu déferler sur nos côtes en 1962 environ 800 000 « migrants » (Pieds Noirs, Juifs, Arabes, Berbères), après l’indépendance de l’Algérie et surtout après les actions terroristes meurtrières de l’OAS tant en Algérie qu’en France (« Nuits bleues » de Toulouse et de Paris). Si certains se sont dispersés dans l’hexagone, la majorité s’est installée en Occitanie.

Mais ce XXe siècle, le plus meurtrier de l’Histoire, a connu des migrations encore plus importantes avec les deux guerres mondiales. Quand les Etats-majors ont imaginé massacrer des civils pour faire plier l’ennemi plus vite, les exodes se sont multipliés: pour le seul grand exode de mai-juin 1940, on compte de huit à dix millions de réfugiés du nord et de l’est (dont deux millions de Belges et Hollandais)) qui ont fui l’avancée de l’armée allemande et se sont réfugiés au sud du Massif auvergnat. Et comme le font certains aujourd’hui à l’égard des réfugiés syriens qui fuient les bombes de Poutine, Pétain culpabilisa en 1941 les réfugiés lorrains, belges ou alsaciens: « Souvenez-vous de ces colonnes de fuyards (!), comprenant des femmes, des enfants, des vieillards, juchés sur des véhicules… » De même certains maires, craignant un manque de nourriture pour leur propre population, venaient demander aux réfugiés de partir ailleurs… tandis que d’autres furent plus courageux, comme ce préfet qui resta à son poste et s’improvisa boulanger pour aider les victimes de cette guerre: il s’appelait Jean Moulin, natif de Béziers…

Petit rappel des migrations dans l’Histoire.

Dès le Paléolithique, nos ancêtres quittèrent l’Afrique pour peupler progressivement l’Asie, l’Europe et les territoires riverains de la Méditerranée. Voici plus de 400 000 ans, les hommes de Neandertal (homo sapiens) sont en Occitanie. Les dernières recherches en génétique montrent que nos propres génomes sont porteurs d’un certain pourcentage de gènes néandertaliens!

Ils seront rejoints vers 40 000 ans avant J-C par les « homo sapiens sapiens » originaires d’Orient, que l’on connaît mieux ici sous le nom de « Cro-Magnon »: ce sont les premiers Européens modernes, nos ancêtres directs. Ces nouveaux immigrés vont cohabiter durant quelque temps avec les premiers, auxquels ils transmettront des techniques nouvelles, ainsi que les premières manifestations de l’art: sculptures de la Vénus de Lespugue en Comminges et de la « Dame de Brassempouy » dans les Landes gasconnes, sans oublier les magnifiques peintures pariétales de Lascaux en Dordogne, de Niaux en Ariège ou de la grotte Chauvet en Ardèche.

Avec le radoucissement du climat vers 10.000 ans avant J-C, apparaît au Moyen Orient l’agriculture et l’élevage. C’est le début de la grande révolution agricole du Néolithique: les sociétés humaines vont passer d’une économie prédatrice de subsistance à une économie de production. Les migrations de peuples néolithiques du « croissant fertile » d’Orient (Syrie, Turquie, Irak, Iran) vers l’Occident vont transformer au 5e millénaire avant J-C les modes de vie jusque chez nous, avec de nombreuses innovations, sur le plan économique (domestication des animaux et pratique de l’agriculture), sur le plan technologique (instruments agricoles et poteries), sur le plan sociologique (regroupement en communautés paysannes). Mais d’autre part, c’est à ces peuples en voie de sédentarisation que nous devons deux « inventions » capitales pour l’avenir de l’humanité: la propriété … et la guerre!

Avant la colonisation romaine, des peuples très différents vivent sur nos territoires depuis des siècles.

Vers 600 avant notre ère, des Grecs-Ioniens venus de Phocée dans l’actuelle Turquie accostent en Camargue et fondent Marseille, puis de nombreux comptoirs pour leur commerce de Nice à Ampurias en Catalogne. Ils vont côtoyer des Ligures qui passent pour le plus ancien peuple autochtone de Provence. Plus à l’ouest, voici les Ibères, dont l’oppidum d’Ensérune près de Béziers raconte une partie de leur histoire et dont la langue sera écrite jusqu’à Toulouse: l’écriture ibère de « Tolosa » conservera cette même orthographe jusqu’à aujourd’hui en occitan!

Quant aux Aquitains de la Protohistoire, ils s’étalent des Pyrénées à la Garonne, descendants d’anciennes populations magdaléniennes, émigrées probablement de l’est caucasien. Battus par le Romain Crassus en 56 avant J-C, une partie d’entre eux se réfugiera au sud de l’Adour en conservant leur culture et leur langue que l’on retrouve chez les Basques d’aujourd’hui, l’autre partie fusionnera avec les nouveaux venus romains et constituera les Gascons.

A cette même époque, des populations celtiques venues d’Europe centrale s’implantent dans nos régions et laisseront leur nom sur nos terroirs, comme les Cadurques (Cahors), les Ruthènes (Rodez), les lemovices (Limousin), les Arvernes (Auvergne)… César écrira au 1er siècle avant J-C: « Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois« .

A partir du 2e siècle avant J-C, Rome colonise systématiquement toutes nos régions, qui seront bientôt intégrées à un vaste empire romain s’étendant de la Mer Noire à l’Atlantique. Au Ve siècle, un peuple originaire de la Baltique fondera le plus vaste royaume dans cet empire: ce sont les Wisigoths dont le territoire s’étendra à son apogée de la Loire à Gibraltar avec Toulouse pour capitale. Après la défaite d’Alaric II devant Clovis, les Francs tenteront de dominer les régions occitanes. Plus tard d’autres populations diverses traverseront l’Occitanie et s’y implanteront parfois: juifs, Maures, Berbères…

Avant la seconde guerre mondiale, les migrations les plus importantes seront dues aux Italiens dès 1920 pour des raisons économiques puis politiques sous le régime fasciste de Mussolini, et aussi aux républicains espagnols, basques et catalans poursuivis par les armées franquistes en 1936.

Les migrations n’ont jamais cessé jusqu’à nos jours sur ce vaste territoire que constitue l’Occitanie culturelle, au carrefour des chemins européens, traversée à l’ouest par l’arc atlantique, au sud-est par l’arc méditerranéen, et reliée au monde rhénan vers l’Europe du nord par l’arc Rhône-Rhin.

Ainsi nous pouvons dire que nous sommes toutes et tous des descendants de toutes ces générations de migrants, qui ont fait la richesse de la terre où nous vivons. Nous sommes bien des immigrés, émigrés de contrées plus ou moins lointaines… d’Afrique et d’Orient pour la plupart.

Georges LABOUYSSE

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