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Catalogne / Espagne : le bras de fer continue

Jan 8, 2018

La victoire des partis indépendantistes aux dernières élections en Catalogne indique que rien n’est réglé. Le gouvernement Rajoy a une lourde responsabilité dans cette crise. Il n’a pas hésité à brandir l’article 155 de la Constitution pour suspendre l’autonomie. Il semblerait bien que le premier ministre, en hystérisant la crise catalane, soit en train de détruire l’ensemble de la société espagnole et aussi de fragiliser l’Europe. Les réactions des exécutifs européens ont été bien timides. L’économie espagnole ressent déjà le contrecoup de cette décision. Depuis quelques années, chaque demande d’autonomie ou d’avancée dans les statuts de la Generalitat de Catalunya a été rejetée par le gouvernement central. Une forme d’autisme qui a rendu le dialogue presque impossible et amène le renforcement du sentiment d’identité catalane. Celle-ci est légitime et s’ancre dans l’histoire de cette région depuis au moins le Xe siècle. La langue n’est pas un dialecte ni une sous-langue. C’est une langue romane qui a connu ses heures de gloire dès le Xe siècle, alors que le français balbutiait encore. Le référendum d’indépendance de la Catalogne a donné lieu à des publications « surprenantes » en France lorsqu’on connaît a minima les régionalismes et leur histoire. Je ne compte plus les publications à charge. Étonnant de voir des intellectuels accepter comme un seul homme l’argument un peu court que cette volonté d’indépendance ne serait dictée que par un égoïsme fiscal et économique. Que le référendum ne serait qu’une consultation illégale. Chez nous, la parole est donnée aux opposants au référendum mais jamais aux 600 auteurs de langue catalane qui ont signé un manifeste. En France, les Français semblent ignorer la Catalogne. Seule l’Espagne existe. Essentiellement comme lieu de villégiature pour nos vacances. Dans un pays de tradition jacobine, il est difficile de concevoir que les Corts catalanes existent depuis le XIIème siècle et qu’ils perdureront jusqu’au XVIIIème. La langue a survécu à la répression voulue par Franco. La structure régionale renaîtra plusieurs fois au XXème siècle et fonctionne normalement depuis les institutions mises en place en 1980 après la fin de la dictature franquiste en 1977. L’impasse actuelle vient de l’intransigeance de Madrid depuis 2010.

Revenons rapidement sur les événements récents
Depuis le 27 octobre, la Catalogne a proclamé son indépendance. Carles Puigdemont est en exil à Bruxelles alors qu’une partie des dirigeants catalans sont emprisonnés. C’est la conséquence du référendum du 1 octobre (90 % de oui avec 43 % de participation). Il a été fortement perturbé par le gouvernement central et a été jugé illégal par le tribunal constitutionnel espagnol basé à Madrid, alors qu’il est légal selon la loi catalane. Alors que la Constitution est l’argument central du gouvernement Rajoy contre le mouvement indépendantiste, nombre de commentateurs omettent de dire que cette même Constitution précise explicitement ceci : « La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles. » Ce référendum avait été décidé le 6 septembre 2017. Le roi a parlé de trahison des responsables catalans. La crise est ancienne. En 2006, les parlements catalan et espagnol réussissent à s’accorder sur un nouveau statut d’autonomie de la Catalogne pour remplacer celui de 1980. Après quarante ans de dictature franquiste, ce dernier avait permis de rétablir la Généralité – nom de l’entité politique catalane – qui avait existé de 1932 à 1939. Mais en 2010, le Tribunal constitutionnel invalide 14 des 223 articles du nouveau statut. Au nom de « l’indissoluble unité » de l’Espagne, les juges refusent que l’expression de « nation catalane » y soit inscrite et que le catalan devienne la langue de référence de l’administration. Ce fut le début de la crispation. Après cette décision, vécue par beaucoup de Catalans comme une humiliation, les revendications pour un « droit à décider » se multiplient et l’idée d’un référendum s’impose dans l’opinion publique. Nous sommes donc au bout d’un processus qui n’est pas un égoïsme des élites catalanes, comme nous le disent les médias français.
La situation est préoccupante de manière générale en Espagne
Elpido Silva, ancien juge de la 9ème chambre d’instruction de Madrid, dénonce le « coup d’Etat » de Madrid et appelle à rien de moins que la dissolution du Partido Popular (PP) ainsi qu’à l’incarcération de ses dirigeants. Il explique que la dérive du pouvoir espagnol est telle que ce n’est pas la Catalogne, mais toute l’Espagne qui s’effrite, non pas sous les coups de boutoir des indépendantismes, mais du fait de la corruption. Le système ne tiendrait désormais plus que par le retour d’un autoritarisme d’un autre temps. Désormais avocat, puisqu’il dit avoir été forcé à renoncer à ses fonctions, il affirme que c’est le gouvernement de Mariano Rajoy qui est sorti de la légalité. Il précise que les élus catalans emprisonnés le sont sur des bases non motivées. Si Elpidio Silva a raison, l’Espagne est aux portes de la dictature. C’est pourquoi je m’étonne de l’unanimité de la presse. Il me revient à l’esprit une réflexion. L’unanimité invalide la sentence. Elle est le procédé des totalitarismes les plus fous. En France, le régionalisme a le tort de poser la question de l’identité. Débat difficile depuis que Nicolas Sarkozy a instrumentalisé cette thématique de la culture et des racines. La question est mal posée en France. Le problème n’est donc pas de savoir si la Catalogne est un pays, question qui ne peut agiter que ceux qui pensent l’Espagne avec seulement le modèle français en tête, mais – et c’est là une question ouverte – s’il est pertinent que ce pays s’incarne dans un État. Le problème présent est que, si on peut estimer de bon droit que la solution étatique n’est pas pertinente, il s’avère que l’assimilation permanente du nationalisme catalan à des régionalismes d’extrême-droite est une contre-vérité absolue.

L’économie catalane
Avec 16 % de la population, la Catalogne représente 20 % du PIB espagnol, au même niveau que Madrid. Elle est la quatrième région la plus riche d’Espagne derrière Madrid, le Pays basque et la Navarre, mais largement au-dessus de la moyenne espagnole (28 600 € de PIB par habitant contre 24 000 € en moyenne en Espagne). Le taux de chômage est 4 points inférieur à la moyenne nationale (13 % contre 17 %). C’est de très loin la région qui exporte le plus avec un tiers des ventes de marchandises à l’étranger et 50 % de l’activité à forte valeur ajoutée. Elle draine aussi 14 % des investissements étrangers, loin derrière Madrid (64 %), mais très loin devant toutes les autres régions. De nombreux grands groupes ont leur siège à Barcelone et la région bénéficie de grands pôles logistiques. La région est très dynamique. Des hôpitaux de pointe et des universités réputées (3 des 5 universités les mieux classées au classement de Shanghai sont catalanes) irriguent l’économie. La recherche y est forte (pharmacie, biosciences, etc.). La Catalogne est la première destination touristique avec 18 millions de visiteurs (un quart des étrangers). Barcelone et les plages de la Costa Brava expliquent ce succès. Son aéroport est le deuxième du pays (44 millions de passagers). Les Catalans considèrent que chaque année 8 % de leur PIB disparaît (16 milliards d’euros, alors que d’autres méthodologies donnent 10 milliards, soit 5 %). C’est un chiffre, systématiquement brandi par les séparatistes (mais contesté par certains économistes), qui correspond au « déficit fiscal » c’est-à-dire la différence entre ce que la Catalogne apporte au budget de l’État et ce qu’elle reçoit en échange. Un regard rapide sur le fonctionnement du notre voisin ibérique permet de voir que l’État ne joue pas son rôle. Il confond les intérêts de l’État avec ceux de Madrid et a une vision radiale et centraliste du pays. On peut citer pêle-mêle les millions d’euros engloutis dans des lignes de TGV désertes qui relient Madrid à toutes les villes de Castille, les aéroports vides et les autoroutes en faillite autour de la capitale espagnole. Les autoroutes sont gratuites, sauf en Catalogne, pourtant premier contributeur du pays. Ces infrastructures ne répondent à aucune logique économique et dans le même temps le couloir méditerranéen n’est pas achevé (une ligne ferroviaire de voyageurs et de marchandises entre le sud de l’Espagne et Barcelone, qui rejoindra ensuite le réseau français et européen via Perpignan).
Les Catalans vivent mal que leur dynamisme économique soit freiné par des infrastructures obsolètes quand dans le même temps des infrastructures sont construites en pure perte.

Les conséquences si le processus est conduit à son terme
Le débat fait rage entre les pro et anti-indépendance, qui basent souvent leurs chiffres sur des méthodologies et des hypothèses différentes. Selon le ministre espagnol de l’Économie, une Catalogne indépendante sortirait de l’Union européenne, son PIB chuterait de 25 à 30 % et le chômage doublerait. D’autres économistes, estimant au contraire que le nouvel État se maintiendrait dans l’UE, calculent que son PIB resterait à peu près stable à court terme et augmenterait de 7 % à long terme.
Cependant c’est toute l’Espagne qui est touchée puisque les autorités tablent sur une baisse de 60 % de la croissance prévue à cause de la crise. Le débat reste ouvert mais ce qui est sûr, c’est que la gestion de la crise et l’intransigeance de Madrid laisseront des traces profondes dans la société espagnole et notamment en Catalogne.
Loïc Steffan

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Bienvenue à la nouvelle République catalane !

Oct 31, 2017

Le Referendum du 1er octobre 2017 en Catalogne est inscrit dans l’Histoire par un SÍ massif à l’indépendance de la Catalogne mais plus encore par la victoire du peuple catalan et de ses institutions démocratiques. N’oublions pas que la Catalogne a été le premier pays d’Europe à mettre en place un régime parlementaire avec les Corts Catalanes que le décret de Nova planta a balayé lors de l’occupation par les Bourbons dès 1714.
Depuis le peuple catalan a réaffirmé son indépendance notamment lors de la proclamation de la République catalane en 1931 par Francesc Macià puis en 34 par Lluis Companys.
Aujourd’hui, après des années de propositions de négociations au gouvernement de Madrid qui n’a eu de cesse de les refuser et d’imposer de drastiques coupes dans le statut d’autonomie de la Catalogne, malgré la violence inénarrable des forces de police espagnoles, les Catalans ont clamé haut et fort leur volonté de vivre dans une République. Tous les républicains doivent s’en féliciter et célébrer l’apparition d’un nouvel état, républicain et laïque. Se détacher de l’état espagnol corrompu par les affaires, qui traine comme un boulet une monarchie obsolète, décorative et inutile est la seule réponse au gouvernement complètement sourd du Partido Popular et du PSOE. Les Républicains, les Démocrates, ne peuvent que se féliciter de cette nouvelle venue dans le concert des nations modernes.

Il faut déplorer la politique de Mariano Rajoy et de ses sbires, qui ont fermé la porte au dialogue et sont entrés dans une logique dictatoriale niant la liberté d’expression et d’association notamment en fermant les sites web, en saisissant du matériel de communication, en s’attaquant à des organisations politiques démocratiques, en instillant le mensonge, en instaurant un climat de peur et surtout en utilisant une force d’une brutalité inouïe. On a pu voir la Guàrdia civil et la Policia frapper des gens pacifiques qui ne demander qu’à exercer un droit de vote !

Le peuple catalan est sorti grandit de ces journées de lutte et en particulier de ce jour de vote. Tout était minutieusement préparé et elles se sont déroulées dans des conditions parfaites de transparence, de démocratie. Listes électorales, bulletins, urnes, etc, tout permettait d’assurer un référendum dans les règles d’une démocratie. Des observateurs étaient dans tous les bureaux de vote. La seule chose a déplorer est l’intervention des forces armées qui ont brisé des écoles, emporté quelques urnes et matraqué un peuple pacifique. Aujourd’hui, devant les images que la police espagnole a données d’elle-même c’est l’indignation générale dans la presse mondiale. C’est une condamnation sans appel du gouvernement de Mariano Rajoy. Il doit assumer ses décisions et démissionner. Quant au parti socialiste, comment peut-il soutenir le premier ministre ? Parce que c’est l’homme qu’il ont fait élire ? Ou parce qu’ils approuvent la politique répressive, sourde, aveugle qui consiste à frapper et à refuser le dialogue ? Dans les rangs des gens qui allaient pacifiquement voter le 1er octobre, de nombreux socialistes étaient présents mais je peux vous dire qu’ils ont choisi de ne plus manger de cette soupe là.
Il fallait les voir les Catalans ! Tout d’abord ces milliers de jeunes qui dès la veille au soir se sont installés pour dormir sur les lieux de vote, dans la rue, devant les locaux. Oui ce sont les jeunes qui défendent la démocratie. En Catalogne, la jeunesse est très investie. Puis on les a vus aider les gens les plus âgés ou handicapés à se déplacer, leur fournir un siège pour attendre de pouvoir enfin glisser un bulletin libérateur dans l’urne avec une émotion que de profonds souvenirs faisaient remonter. Il fallait les voir ces grands-mères porter qui à boire, qui à manger, dans les files interminables. Il fallait les voir, sur les visages, ces sourires de gens exaspérés par Madrid qui voulaient se débarrasser de vieux démons.
Ce premier octobre 2017, c’est un peuple digne, fier de sa culture, qui a affirmé au monde entier, sa volonté d’exister, de faire renaître une République, sa volonté d’être. Vive la République catalane !
Joan Thomàs

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Les 5 € d’APL : le petit bout de la lorgnette d’un vrai problème

Oct 31, 2017

Le mois dernier Macron a suscité un débat important en annonçant sa volonté de réduire de 5 € le montant des APL. Immédiatement les réactions ont fusé. Pourtant derrière ce détail il est une question importante. Le coût du logement est élevé en France. C’est le premier poste de dépense des ménages (22 % en moyenne). Cela a une incidence sur les conditions de vie des ménages les plus modestes, sur la compétitivité de la France. L’argent consacré au loyer impacte le pouvoir d’achat et le niveau des salaires.
Un état des lieux
Dressons un rapide portrait robot du marché et des problèmes qu’il rencontre. L’état injecte 40 milliards d’aides (accession à la propriété, APL, etc) et récolte 70 milliards en droit de mutation et diverses taxes. Il y a 35 millions de logement pour 28 millions de ménages. Suffisamment pourrait-on penser mais non. Il y a près de 4 millions de mal-logés en France. Les plus modestes (premier décile) y consacrent 55 % de leur revenu disponible contre à peine 12 % pour les plus aisés. Les 5 € d’APL du départ sont importants pour les plus modestes. Les prix immobiliers ont fortement augmenté ses dernières années. Si les propriétaires ont bénéficié d’un effet richesse, les locataires peinent de plus en plus.
Malgré le phénomène des logements vides qui tend à se développer, Il manquerait en fait 1 million de logements. Il manque surtout des logements sociaux. Le parc existant est de près de 5 millions de logement, pourtant 1,5 millions de demandes sont en attentes et 100 000 sont jugées très prioritaires. On peut aussi considérer qu’il est nécessaire de faire baisser les prix dans tout le parc locatif plutôt que chercher à compenser les défaillances du marché par le logement social.
Si on estime la durée de vie d’un bâtiment a environ 100 ans, il faut construire au moins 350 000 logements par an uniquement pour renouveler le parc. Les mises en chantier de 2016 étaient d’environ 376 000 nouveaux logements. Et à chaque fois qu’un retard s’accumule, il devient de plus en plus dur de contrer l’augmentation des loyers. Dans le même temps, le foncier disponible se réduit et se renchérit. En zone tendue une solution est donc de verticaliser c’est à dire de construire des étages et des immeubles. Il faut aussi arriver à réduire le coût des logements pour les plus modestes sans appauvrir les propriétaires.
On estime que les loyers sont 30 % plus cher en France comparativement à l’Allemagne. Cela pèse sur les plus fragiles, freine la consommation des autres produits, le niveau des salaires français, et donc plombe la compétitivité. Concrètement les prix de l’immobilier ont doublé voire triplé par endroit. Cela paraît formidable mais c’est in fine un handicap pour l’économie et les ménages.
Comment peut-on faire baiser les prix ?
Tout d’abord on pourrait baisser les 70 milliards de taxes et droits de mutation mais en cette période de difficulté on voit mal l’Etat se passer de recette. On peut aussi réfléchir à la pertinence des aides à la pierre qui coûtent cher pour un gain limité en terme d’accession à la propriété. La hausse des prix doit être combattue car elle est anti-redistributive. La répartition est inégalitaire. La hausse se concentre sur les régions déjà en tension. Elle renforce les exclusions. Elle est inefficace économiquement car elle éloigne certains travailleurs des zones d’emploi.
Il faut cependant être prudent car un dégonflement d’une bulle immobilière peu provoquer une crise importante comme au Japon par exemple. C’est donc un problème qui prend du temps à régler. Analysons rapidement les causes de la hausse. Un rapport du Conseil d’analyse économique identifie des causes liées à la demande (démographie, recomposition des ménages, accès au financement plus facile, demande étrangère dynamique, etc) et des facteurs d’offre (insuffisance des constructions, hausse du coût de la construction et du foncier).
Les solutions généralement admises consistent à modifier la gestion des plans locaux d’urbanisme pour mieux gérer le foncier disponible, à mieux gérer les bailleurs sociaux et surtout à équilibrer la taxation entre locataire et propriétaire et éviter la spéculation à la hausse. Il est aussi important de regarder les coûts à la construction et de rétablir de la concurrence.
En tout cas cette question mérite mieux que les prises de positions auxquelles on a assisté ces derniers jours.
L. S.

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Jeanne III d’Albret Reine de Navarre

Oct 31, 2017

C’était il y a 500 ans le 31 octobre 1517, le moine Luther placardait à Wittenberg en Saxe ses 95 thèses contre le trafic des indulgences pontificales. Ce fut la rupture définitive avec Rome, qui donna naissance à la R.P.R. (Religion Prétendue Réformée), c’est-à-dire au Protestantisme. La reine de Navarre Jeanne III d’Albret se convertira à la Réforme, qui se répandra dans tous ses domaines.

Un caractère bien trempé.

Jeanne d’Albret est la fille d’Henri II d’Albret roi de Navarre et de Marguerite d’Angoulême sœur du roi de France François 1er . Elle naît en 1528 à Saint Germain en Laye. Elle n’a que 13 ans quand son oncle François 1er décide de la marier au duc de Clèves. Malgré son jeune âge, elle tient tête au roi et le jour de la cérémonie il faudra, dit-on, la pousser physiquement à l’autel… mais à la requête de son père, ce mariage sera annulé par le pape Paul III.
De fait, en choisissant lui-même un mari à Jeanne d’Albret, François 1er voulait entre autres éviter que ses parents ne la marient à l’infant d’Espagne, le futur Philippe II fils de Charles Quint, ce qui aurait été fort inquiétant pour le roi de France vu la proximité des domaines d’Albret avec l’Espagne.
Il faut savoir que le roi de Navarre – et après lui la reine Jeanne- possède aussi, outre la Navarre et le Béarn, le comté de Foix, les territoires des Landes à l’Agenais et du Périgord à la vicomté de Limoges.
Alors après la mort de François 1er, c’est son fils le nouveau roi Henri II qui poursuit cette même politique, malgré l’hostilité des parents de Jeanne. Mais là c’est elle-même qui choisira son époux en la personne d’Antoine de Bourbon « premier prince du sang ». Le mariage sera célébré le 20 octobre 1548 à Moulins. Le jeune couple aura cinq enfants dont deux seulement survivront: une fille Catherine et surtout un garçon Henri, le futur Henri III de Navarre puis Henri IV de France.

Jeanne reine de Navarre… et des Huguenots

Après la mort de son père Henri II, elle monte sur le trône de Navarre le 25 janvier 1555, sous le nom de Jeanne III d’Albret. Il faut rappeler ici qu’en Occitania les femmes héritaient à égalité avec les hommes, votaient et étaient éligibles comme « Cap d’ostau » dans les vallées pyrénéennes notamment, et que ce droit leur fut retiré de fait par la législation masculine des Jacobins à la Révolution!
Par sa fermeté et son énergie, elle garantira l’indépendance de son royaume. Très tôt elle favorise l’implantation de la réforme protestante, mais elle ne rompt pas dans l’immédiat avec l’Eglise catholique. Ce n’est qu’en 1560 qu’elle franchit le pas définitivement à la cour de Nérac et se convertit au protestantisme de Calvin, dont elle fait la religion de son Etat (ordonnance du 19 juillet 1561)… tandis que son mari Antoine de Bourbon affiche plutôt ses sympathies pour le catholicisme…
Après la mort de ce dernier en 1562, elle prend une série de mesures en faveur de la Réforme en Béarn dont voici quelques exemples :
– Publication du catéchisme de Calvin en béarnais (1563);
– Fondation d’une académie protestante à Orthez (1566) ;
– Rédaction de nouvelles ordonnances ecclésiastiques (1566 ; 1571) ;
– Traduction du Psautier de Marot en béarnais, par Arnaud de Salette (1568) ;
– Traduction du Nouveau Testament en basque, par Jean Liçarrague (1571) …
Mais cette politique suscite une opposition telle de la part des Catholiques, que Jeanne d’Albret finit par leur interdire le culte et à expulser leur clergé en 1570.

Femme politique habile et déterminée

Entre temps (1568), Jeanne d’Albret qui a pris la tête du parti protestant doit soutenir ses partisans contre une coalition catholique durant la 3e guerre de religion qui se déroule au nord-ouest de l’Occitania. En compagnie de son fils Henri âgé de 15 ans, elle se rend à La Rochelle qu’elle administre elle-même en toutes choses, avec l’appui de Louis 1er de Condé et de l’amiral de Coligny pour les affaires militaires. En mars 1569 Condé est tué, elle tente de conserver le soutien des princes étrangers alliés. Grâce à l’énergie communicative de Jeanne d’Albret, le parti huguenot résiste.
Mais après la bataille de Moncontour, qui voit la défaite des protestants le 3 octobre 1569, elle est contrainte d’accepter une négociation avec le parti catholique français. Ce sera alors la « paix de Saint-Germain », où par son habileté politique elle réussira non seulement à conserver La Rochelle, mais de plus elle obtiendra d’autres places comme Montauban, Cognac et La Charité, même si Jeanne devra souvent protester contre la mauvaise application de ce traité.

Ensuite elle entamera de difficiles négociations à Paris, pour unir son fils Henri à Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis. Le mariage est fixé au 18 août 1572, mais Jeanne III d’Albret meurt subitement le 9 juin et aujourd’hui encore les causes de ce décès ne sont pas clairement établies. Son fils devient le nouveau roi Henri III de Navarre. Et quelques jours après son mariage, c’est le massacre de la Saint-Barthélémy dont le futur Henri IV réchappera de justesse…

Les « Provinces Unies du Midi »

Les Protestants occitans s’organisent en communautés autonomes regroupées en synodes. Après les massacres de 1562 à Toulouse et ceux de 1572 lors de la Saint-Barthélemy qui font des centaines de victimes huguenotes, se constitue un Etat séparatiste fédéral, que des historiens appelleront les « Provinces-Unies du Midi ». La Rochelle, Montauban, Castres, Milhau, Nîmes, les Cévennes… se révoltent contre le roi de France.

En 1573 les Etats Généraux de l’Union créent un Gouvernement Général, dont la tête prend le nom de « Protecteur » ou « Général en Chef de l’Union », ce qui correspond au « Stathouder » hollandais. Henri de Condé en sera le premier titulaire, puis ce sera Henri de Montmorency-Damville et enfin Henri de Navarre.
Le « Protecteur » sera assisté d’un Conseil permanent formé de députés de chaque province membre de l’Union. Cette Assemblée Générale vote les lois et les impôts. De même, chaque ville adhérente, comme Montauban et Milhau, pourra s’ériger en une « république » communale avec deux assemblées élues et séparation des pouvoirs; celles-ci élisent les délégués pour siéger aux assemblées provinciales. C’est l’embryon d’un Etat fédéral, qui repose sur l’autonomie des pouvoirs locaux en appliquant le principe de subsidiarité.
« Une réussite totale de la politique méridionale après la Saint-Barthélemy aurait conduit les provinces du sud à des structures suisses ou néerlandaises », écrit alors un conseiller de la couronne. A noter que le terme « Huguenot » désignant les Protestants vient de l’allemand « Eidgenossen », qui veut dire « confédérés ».
Georges LABOUYSSE

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Elections allemandes : triste Europe !

Oct 31, 2017

Une fois de plus, dans un des pays où les raisons de ne plus voir leurs bras levés, ni entendre leurs injures raciste étaient, sans mauvais jeu de mots, légion, l’extrême droite xénophobe, nationaliste anti-euro et anti-immigrés réalise une spectaculaire percée électorale. Troisième force allemande, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) envoie 80 députés au Bundestag.
La France, avec un FN dont le nombre réduit d’élus ne tient qu’à un mode de scrutin majoritaire éculé, l’Angleterre avec les tenants du Brexit désormais majoritaires, l’Italie qui renoue avec la tolérance zéro en matière d’immigration, les populistes au pouvoir en Pologne et en Hongrie, et maintenant l’Allemagne, oui c’est toute l’Europe qui est touchée par une volonté de repli sur soi et de fermeture.
Chômage, terrorisme, crises multiformes, sociale, écologique, économique, difficultés à se loger, parfois à se nourrir, viennent marginaliser des franges de plus en plus importantes de la population européenne. Ainsi un citoyen sur quatre, 118 millions de personnes au total, est touché par la pauvreté ou l’exclusion sociale. On note aussi une augmentation de la pauvreté (7,8%) dans les travailleurs à plein temps ce qui indique qu’un nombre croissant de gens sont employés dans le secteur à bas salaire.
Et ces colères sociales, souvent latentes et qui peinent à trouver des solutions solidaires et internationales favorisent les populistes qui agitent les peurs, dénoncent les boucs émissaires et mettent en avant une préférence nationale et nationaliste.
Mais s’ils sont aussi écoutés c’est parce que les politiques austéritaires menées par la commission européenne depuis 2008, comme par la plupart des États, ont largement aggravé une situation totalement inégalitaire avec des pauvres de plus en plus nombreux et des riches de plus en plus riches.
Sur le plan hexagonal les lois « travail » de Macron et l’adoption du traité CETA, entre l’Europe et le Canada viennent fournir deux illustrations de ces purges libérales qui au final ne feront qu’aggraver une situation de précarité.
Qui peut sérieusement croire qu’on embauche en fonction d’un barème d’indemnités prudhommales ? L’emploi est fonction du carnet de commandes, du volume de services à fournir. En satisfaisant les vieilles revendications du MEDEF, Macron va concentrer un peu plus d’argent dans des mains qui n’en n’ont nul besoin. En affaiblissant, le mot est insuffisant, les droits des salariés le pouvoir central va accroître le nombre de temps partiels subis et considérablement augmenter le nombre de travailleurs pauvres. Des populations entières qui, surtout cheznous, rencontrent les pires difficultés à se loger et à vivre décemment.
TAFTA/CETA qui entendent organiser les échanges marchands, en bien précisant que tout est marchand pour les concepteurs de ces traités, viennent directement menacer les services publics, comme la distribution de l’eau.
Bien commun souvent fournie en régie, elle échappe, pour les consommateurs qui résident dans des communes qui ne l’ont pas privatisée, aux grands groupes industriels. Demain les collectivités récalcitrantes, déjà sujettes à d’insupportables lobbyings, seront directement sous la menace de sanction pour non respect de la concurrence. Car oui, ces accords sont faits pour tout soumettre à la concurrence. Ils viennent, de facto, fragiliser le rempart social du service public et s’inscrire dans la logique inverse des circuits courts, du consommer local, du produire au pays. Des engagements qui fondent notre action publique et guident nos choix politiques totalement opposés à cette logique libérale de mondialisation et d’acculturation effrénée.
Mais nous devrions aussi en Europe avoir des raisons de nous réjouir. En Écosse, en Catalogne, les peuples font entendre leur volonté, par la voie démocratique, de redéfinir l’engagement européen. Mais que dire de cette Europe muette alors qu’elle devrait accompagner la volonté des Écossais qui refusent le Brexit ! Et comment tolérer son mutisme devant la dérive autoritaire de l’État espagnol quand la Catalogne veut faire vivre un droit reconnu par l’ONU : le droit à l’autodétermination ? Comment admettre qu’on puisse se taire quand, rappelant des régimes d’un autre temps, c’est par la force qu’on veut empêcher tout un peuple de voter.
L’Europe des États, c’est, nous l’avons dit, l’Europe en mauvais état ! L’Europe des libéraux, c’est celle de la mondialisation, du chômage et de la misère.
Alors oui, Pauvre Europe, mais aussi indispensable Europe qu’avec nos frères catalans, basques, écossais, corses, bretons… des peuples et des régions solidaires nous avons hâte de réinventer.
Hervé GUERRERA

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Magazine Occitania – Juillet/Août 2017

Août 29, 2017

 

Sommaire :

° Dossier : Au forum citoyens! La Dintrada se debanarà a Narbona lo 16 septembre 2017.

° Femmes d’Occitanie : Simone Weil.

° Eleccions : entre lassitge e macronita.

° Code du travail : un biais libéral marqué.

° Sciença e environament : perque cal barrar la centrala nucleara de Fessenheim.

E totas las rubricas abitualas….

Abonament : 24,5 euros de mandar a ADEO 21 bis camin de Matens 81 600 GALHAC.

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Au forum citoyens!

Août 28, 2017

L’occitanisme est arrivé à la croisée des chemins. C’est la raison pour laquelle nous faisons évoluer La Dintrada en un véritable forum citoyen occitan ouvert à toutes les sensibilités de l’occitanisme. Cet évènement abordera les trois problématiques suivantes :

  • Tout d’abord, le choix des habitants du Midi Pyrénées et de Languedoc Roussillon de baptiser la nouvelle grande région « Occitanie ». Cette irruption imprévue et impensée d’une région Occitanie appelle à une révision du logiciel sur lequel fonctionnaient les principales associations et mouvements occitans.
  • D’autre part la place de plus en plus importante du numérique et de l’internet impacte de manière forte les comportements culturels, professionnels et aussi sociaux. Ayant conscience de ce phénomène plusieurs opérateurs (TVOC, Lo Cirdoc, Lo Congrès…) travaillent à la présence de la langue et la culture occitane sur ces nouveaux espaces. Mais est ce suffisant ? Et le numérique peut il remplacer les échanges traditionnels ?
  • Enfin, un autre facteur vient transformer les régions occitanes : il s’agit de la démographie. En effet le nombre d’habitants de nos régions ne cesse d’augmenter, principalement dans les métropoles, alors que les zones éloignées des grands axes de circulation se dépeuplent. La principale raison de ce boum démographique est l’arrivée régulière et importante de personnes en provenance du nord de la France, ainsi que d’autres pays. La marginalisation institutionnelle de l’occitan rend difficile sa transmission, alors même que les nouveaux arrivants ont parfois plus d’appétit que les « locaux » pour la « lenga nòstra » ! Comment transmettre notre culture ? L’occitanie est elle en train de devenir multiculturelle ?

Voilà planté le décor ! Voilà les problèmes qui se posent à nous et que les occitans doivent aborder s’ils ne veulent pas passer à la trappe de l’histoire ! C’est pourquoi nous avons fait évoluer le concept de La Dintrada qui était jusqu’à présent une université d’été politique. Il me paraît aujourd’hui indispensable de s’adresser à la nouvelle génération d’occitans et de leur proposer un lieu et un temps pour prendre à bras le corps leur avenir !

La Dintrada devient donc un forum de discussion, de réflexion et d’élargissement des thématiques autour de l’occitan. Tout un chacun est le bien venu dans cet espace d’échanges qui se veut pédagogique, neuf, sans pré-requis Nous poserons des questions sur notre avenir à échelle régionale au sein d’une communauté européenne voire mondiale où la question de l’identité reste très importante. Comment vivre ensemble avec ce qu’on a autour de nous ? Comment faire valoir les spécificités de nos régions ? Comment créer un socle identitaire et culturel dans lequel nouveaux et migrants se sentiront chez eux ? Qu’est ce que l’Occitanie et qu’a-t-elle à nous donner aujourd’hui et demain ?

Grâce à une journée de présentations et d’échanges, nous voulons montrer et mettre en relation une diversité d’expériences et de points de vue pour créer un espace d’objectivité. Le but que nous nous fixons est de dépasser des clivages actuels issus de l’histoire de l’occitanisme : éducation nationale/calandreta, Languedoc/autres régions, culturel/politique, connecté/traditionnel, droite/gauche, jeunes/vieux, etc… Pour créer le point de départ d’une avancée théorique et technique vers un occitanisme conscient des enjeux du XXIème siècle.

Vous pouvez consulter le programme, découvrir les invités, et vous inscrire sur le site http://ladintrada.eu/

L’inscription est gratuite, mais indispensable pour choisir les ateliers auxquels vous souhaitez participer, et… réserver votre repas!

Uc Jourde

Ne saber mai / En savoir +

L’Occitanie au féminin : Simone Weil

Août 28, 2017

La philosophe engagée

Simone Weil est née en 1909 dans une famille très cultivée, d’origine juive agnostique. Dès son plus jeune âge, elle manifeste sa solidarité avec tous les « opprimés »: à six ans, elle s’abstient de manger du sucre quand on lui dit que les soldats en sont privés dans les tranchées! Elle a dix ans, quand sa mère la retrouve dans un défilé de grévistes chantant l’Internationale en 1919… Elle est très liée à son frère aîné André qui deviendra un des grands mathématiciens du XXe siècle. Ensemble ils s’enthousiasment pour les différentes sources de civilisation, en particulier pour la civilisation grecque avec Pythagore et Platon. A douze ans André apprend seul le grec ancien, qu’il enseigne à sa sœur, ce qui leur permet de discuter entre eux sans que personne ne puisse les comprendre autour d’eux!

A seize ans elle obtient le bac philo au lycée Victor Duruy de Paris, où elle a suivi les cours du philosophe René Le Senne. Entrée au lycée Henri IV en octobre 1925, elle suivra les cours du philosophe Alain. En 1926 à la Sorbonne, elle rencontre Simone de Beauvoir , qui raconte : « Elle m’intriguait, à cause de sa réputation d’intelligence et de son accoutrement bizarre… Une grande famine venait de dévaster la Chine, et l’on m’avait raconté qu’en apprenant cette nouvelle, elle avait sangloté : ces larmes forcèrent mon respect plus encore que ses dons philosophiques ».

 Agrégée de philosophie en 1931, elle va enseigner au Puy pour être plus proche d’un milieu ouvrier: elle provoque un scandale en se solidarisant avec les syndicats de mineurs et en rejoignant le mouvement de grève contre le chômage et les baisses de salaire. Elle écrit dans les revues « L’Ecole émancipée » et « La Révolution prolétarienne » et prône l’unification syndicale. A partir de 1932, elle milite au « Cercle communiste démocratique » de Boris Souvarine tout en luttant contre le Stalinisme.

Elle passe l’été 1932 en Allemagne, pour essayer de comprendre les raisons de la montée du nazisme. Revenue en France, elle écrit plusieurs articles où elle exprime ses sentiments lucides et son scepticisme sur l’avenir de l’Europe dans ce contexte.

Le 31 décembre 1933, l’ancien chef de l’armée rouge Trotski pourchassé par Staline est invité avec sa femme Nathalie chez les Weil à Paris. Simone ose s’opposer à lui sur la condition ouvrière en Russie: Trotski soutient en effet que le régime soviétique serait globalement positif pour le prolétariat dès lors que l’industrie appartient à l’Etat et non à un propriétaire privé. Simone Weil lui rétorque sèchement que le travail épuisant à la chaîne, les cadences imposées et l’obéissance aveugle aux petits chefs sont les mêmes en Russie comme en France; elle lui montre que l’important réside dans les conditions de travail des ouvriers et non dans le statut juridique de l’entreprise… Trotski conclura: « Vous êtes l’Armée du Salut?« 

Comme Olympe de Gouges en son temps, Simone Weil pense que les actes concrets valent mieux que des discours. Alors toujours avide de comprendre la vie du peuple, elle quitte pour un temps sa carrière d’enseignante et elle s’engage chez Alsthom en 1934-1935 comme ouvrière sur presse. On la retrouve ensuite dans un travail à la chaîne à Boulogne-Billancourt chez Renault et aux établissements « Carnaud et Forges de Basse-Indre ». Elle consignera ses impressions dans son « Journal d’usine ».

De santé fragile, elle quitte l’usine et reprend l’enseignement de la philosophie, tout en distribuant une partie de son traitement, comme l’écrit un de ses biographes E. Piccard en 1960 : « Décidée à vivre avec cinq francs par jour, comme les chômeurs du Puy, elle sacrifiait tout le reste de ses émoluments de professeur à la Caisse de Solidarité des mineurs ».

La Résistante insoumise

Elle participera logiquement aux grèves de 1936 et elle s’engagera dans la « Colonne Durruti » lors de la guerre civile espagnole contre Franco. En 1937 elle écrit dans les «Nouveaux cahiers», une revue économique et politique qui prône une collaboration économique franco-allemande. En effet, elle a bien compris, comme le disait Anatole France en 1919 lors du diktat de Clemenceau avec le traité de Versailles, que si l’Allemagne est empêchée de se relever économiquement « l’Europe en périra si, enfin, la raison n’entre pas dans ses conseils« .

Voici la guerre qu’elle avait redoutée. Sans illusion sur le sort de l’Europe et sur celui des Juifs, elle se réfugie à Marseille le 13 juin 1940 avec sa famille. Elle va rédiger alors ses « Cahiers » sur la philosophie grecque. Elle contacte aussi la revue littéraire « Les Cahiers du Sud », à laquelle elle collabore sous le pseudonyme d’Emile Novis. Elle se rapproche de plus en plus du Christianisme. Elle entre dès le début de l’Occupation dans un réseau de Résistance et distribue la revue « Cahiers du Témoignage Chrétien », qui sera vite mis à l’index par Vichy et l’épiscopat…

Dans l’été 1941, elle rencontre le philosophe Gustave Thibon, qui la fait embaucher en Ardèche comme ouvrière agricole. L’année suivante, elle met ses parents en sécurité aux Etats-Unis, puis gagne la Grande Bretagne où elle entre au service de la « France Libre » comme rédactrice. Mais son intransigeance la pousse à démissionner de l’organisation de De Gaulle en juillet 1943. Désireuse de rejoindre les réseaux de résistance dans l’hexagone, elle en est empêchée par Schumann et André Philip, qui craignent à juste titre qu’elle soit vite identifiée comme juive par la police de Vichy et déportée en Allemagne.

Atteinte de tuberculose, aggravée peut-être par les nombreuses privations qu’elle s’imposait, elle meurt au sanatorium d’Ashford le 24 août 1943 à 34 ans.

De la conquête capétienne de l’Occitanie

Peu de temps avant sa mort, Simone Weil écrit deux textes en 1943 sur la conquête des pays occitans par la France et sur les atrocités commises alors par les armées capétiennes, qu’elle n’hésite pas à comparer à la situation vécue sous l’occupation allemande contemporaine. L’un a été publié dans les « Cahiers du Sud » sous le pseudonyme d’Emile Novis, voici un extrait du second dans « L’enracinement » :

« On peut trouver dans l’Histoire des faits d’une atrocité aussi grande, mais non plus grande, sauf peut-être quelques rares exceptions, que la conquête par les Français des territoires situés au sud de la Loire, au début du XIIIe siècle. Ces territoires où il existait un niveau élevé de culture, de tolérance, de liberté, de vie spirituelle, étaient animés d’un patriotisme intense pour ce qu’ils appelaient leur langage (Lengatge); mot par lequel ils désignaient la patrie.

Les Français étaient pour eux des étrangers et des barbares, comme pour nous les Allemands. Pour imprimer immédiatement la terreur, les Français commencèrent par exterminer la ville entière de Béziers, et ils obtinrent l’effet cherché. Une fois le pays conquis, ils y installèrent l’inquisition…

Depuis qu’ils ont été conquis, ces pays ont apporté à la culture française une contribution assez faible, alors qu’auparavant ils étaient tellement brillants. La pensée française doit davantage aux Albigeois et aux troubadours du XIIe siècle, qui n’étaient pas français, qu’à tout ce que ces territoires ont produit au cours des siècles suivants…

Quand on a pris l’habitude de considérer comme un bien absolu et clair de toute ombre cette croissance au cours de laquelle la France a dévoré et digéré tant de territoires, comment une propagande inspirée exactement de la même pensée, et mettant seulement le nom de l’Europe à la place de la France, ne s’infiltrera-t-elle pas dans un coin de l’âme?

Les collaborateurs actuels (nous sommes en 1943!) ont à l’égard de l’Europe nouvelle que forgerait une victoire allemande l’attitude qu’on demande aux Provençaux, aux Bretons, aux Alsaciens, aux Francs-Comtois d’avoir, quant au passé, à l’égard de la conquête de leur pays par le roi de France.»

Georges LABOUYSSE

PS : Ne pas confondre Simone Weil à laquelle est consacré cet article, et Simone Veil personnalité tout autant exceptionnelle nous ayant quitté cet été 2017.

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Michel ONFRAY et le centralisme français

Juil 3, 2017

Michel Onfray semble ouvrir un nouveau chapitre socio-politique de sa réflexion. Si le titre est involontairement provocateur –à moins que les « provinces » ne soient un nouvel euphémisme pour « régions »?-, Il reprend le titre d’un texte de Michel Rocard écrit en 1966. Mais pourquoi ne pas analyser directement l’axe régional d’une pensée critique et contemporaine, aujourd’hui banalisée par les gouvernements successifs, socialistes en tête ? M. Rocard, lui, connaissait bien les écrits dont il s’est inspiré – « La révolution régionaliste » et « Autonomie, de la région à l’autogestion » de Robert Lafont-. M. Onfray ne les a sans doute pas lus, ainsi que les nombreux essais qui ont suivi. Aussi, sa référence aux Lip dès le 1er chapitre (« Créer mille Lip ») des années soixante-dix, (si elle fait peut-être allusion aux marches sur le Larzac qu’il n’a sans doute pas connues), est mise en opposition à un Marx centralisateur dont il a sans doute oublié les Manuscrits de 1844 qui abordent aussi l’autonomie (ouvrière). Mais il n’est pas le seul, la vulgate marxiste ayant vite fait de passer à ses écrits économiques, laissant de côté ses écrits idéologiques de jeunesse. Ses polémiques avec plus d’un socialiste d’alors est pourtant révélatrice d’une pensée anti-centraliste, à mille lieux de ce qu’il considère comme étant « le penseur de l’Etat centralisateur jacobin ».  Soit dit en passant, pour dépasser les oppositions faciles que les commentateurs du « socialisme d’Etat », Staline et les poststaliniens européens, n’ont fait que renforcer. Dont acte.

 

En contrepoint, celles-ci prospèrent, notamment dans cette opposition Proudhon-Marx mises en avant. P-J Proudhon est le premier théoricien socialiste français à employer le terme d’anarchie comme doctrine politique. Sans entrer dans l’analyse des principales contradictions qui traversent le mouvement ouvrier, la fracture tient surtout à la question de l’Etat (fin ou dépérissement ?), à l’usage de la violence révolutionnaire (Proudhon est contre), à l’actionnariat ouvrier (Marx dénonce des rapports économiques « éternels »). C’est tout cela qui n’est pas dit dans cette introduction de M. Onfray qui préfère ne retenir qu’une partie des contradictions et surtout l’échec d’une pensée utopique se réclamant du communisme, dévoyée dans le cours de ses manifestations historiques. M. Onfray insiste surtout sur la non gouvernance d’un pouvoir « tombé du ciel » opposé à « un gouvernement qui monte de la terre ». En ce sens, l’expérience des Lip est une réussite contre les constructions intellectualistes, bref, le bon sens en acte et le mieux partagé. Mais laissons de côté la critique faite aux versions du socialisme contemporain et ses reniements. On doit les apprécier face à la version d’un socialisme libertaire dont l’auteur se réclame, après avoir pourfendu les Jacobins contre les Girondins. Soit, mais le problème est que cette opposition, historiquement datée, ne répond que partiellement aujourd’hui aux enjeux imposés par la mondialisation et par la recomposition des blocs gauche-droite tels qu’ils ont été vécus et subis par le citoyen. Et si l’idée fédérale n’a été pour les Girondins qu’un moyen de repenser l’organisation de l’Etat (des départements égaux face à Paris), elle porte encore une vertu transformatrice qu’il faut repenser dans la période que nous vivons, malgré les effets toujours dévastateurs de la constitution bonaparto-gaulliste.

 

Pourtant cette idéologie centralisatrice continue de coller à la peau de toutes les équipes en place à Paris. M. Onfray rappelle avec raison que cette « vision totalitariste du réel » est toujours en action, que ses racines conventionnelles ont porté le culte de l’Un dans tous les domaines,  idéologiques, culturels et linguistiques. L’abbé Grégoire, cité, témoigne de cette longue maladie qui constitue «  le bréviaire des ethnocides linguistiques ». Heureux le lecteur qui a lu ses positions antérieures qui faisaient dans l’œcuménisme linguistique avec l’esperanto rassembleur et la mise à mort de Babel (la diversité) contre Yavé (l’universel), une autre version réactionnaire de l’universalisme revendiqué contre les langues de pays, potentiel de division et de racisme. Tant Mieux, on peut changer et dans le bon sens.

 

Sa critique du jacobinisme mérite qu’on s’y arrête, ne serait-ce que parce que le « communalisme » : « devrait permettre que les lois qui régissent un marché de village ou de ville moyenne ne relèvent plus des bureaux de Bruxelles mais de décisions locales ou départementales. » (p113) Pire, il « a exporté son schéma centralisateur et étatique partout sur la planète(…) Les Etats africains conçus par des politiques formatés à l’idéologie parisienne coupent des ethnies en morceaux. » Outre le fait que M. Onfray ne remet pas en question le mille-feuille juridico-politique (les départements relais du pouvoir central) on voit mal comment les communes peuvent jouer un rôle d’initiatives citoyennes dans le contexte de la métropolisation hyper-centralisatrice qui devient le b-a-ba du système. Quant au fait colonial qu’il dénonce justement, il  reprend à son compte la réponse humaniste de  A. Camus qui militait alors « pour une Algérie constituée par des peuplements fédérés, et reliés à la France. » Diable, le système colonial amendé en fédéralisme à la française, il fallait y penser et surtout cinquante-cinq ans après la fin de ce conflit colonial ! Là, M. Onfray dépasse toute réflexion politique critique acceptable pour ceux qui ont connu les exactions et les génocides colonialistes de l’Etat français. Et la « petite république fédérative » de Kabylie » rêvée par A. Camus n’a rien à voir avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, surtout en plein conflit colonial. Ne rêvons pas, passons.

Si M. Onfray critique le centralisme français confronté au système fédéral suisse, il y en a pourtant d’autres en Europe qu’il ne cite pas. Son retour au communalisme proudhonien semble anachronique quand il en fait la base d’un fédéralisme, voire d’un confédéralisme actuels. Pourtant l’autonomisme qu’il revendique à ce niveau pourrait être appliqué à l’ensemble des niveaux de gestion régionaux. Ils n’ont pas place dans sa réflexion.

L’ambition avouée de M. Onfray est de transformer son université populaire de Caen en « Parlement des idées (…) afin d’en finir avec l’oligarchie jacobine centralisée à Paris.» (p127) Si l’idée est porteuse, disons que le centralisme français ne pourra être ravaudé par  un schéma communaliste proudhonien même actualisé ; il n’est que la partie d’une construction globale dont ont besoin les peuples de France. Sortons d’un nouveau régionalisme à la française et réfléchissons dans la dimension « monde ».  Et si l’on veut parler d’Europe autrement, c’est un fédéralisme global qui posera les conditions d’une supranationalité que les Etats-nations d’Europe ne sont pas prêts à reconnaître. Le fédéralisme moderne est cette utopie réalisante qu’il faut inventer et construire.

Gerard TAUTIL, à propos du livre de Michel Onfray « Décoloniser les provinces. Contribution aux présidentielles»

Les éditions de l’Observatoire. Fév. 2017.

 

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