Quand on parle des personnages qui « ont fait » l’Histoire dite « de France », on voit surtout des hommes, rois ou présidents. Et pourtant en Occitanie, des femmes ont marqué à des titres divers leur époque, depuis les Vénus préhistoriques de Brassempouy dans les Landes de Gascogne et de Lespugue en Comminges, jusqu’à la figure emblématique de la Montalbanaise « fédéraliste » Olympe de Gouges, dont le buste vient d’entrer au Parlement français le 20 octobre 2016 juste en face celui de l’Albigeois Jean Jaurès, après un combat associatif mémorable contre certains députés jacobins misogynes!…

Nous évoquerons ici brièvement les traits essentiels de quelques-unes de ces figures de l’ «Occitanie au féminin », qui se sont affirmées dans le contexte de leur siècle respectif, à commencer par la niçoise Catarina Segurana.

 L’attaque franco-turque

Nous sommes le 15 août 1543. Dès les premières heures du jour, cent-vingt galères franco-turques commandées par l’ottoman Barberousse sortent de la rade de Villefranche et se placent en position devant les remparts de Nice et son château. Quatre batterie ciblent la ville, les troupes françaises et ottomanes donnent l’assaut à la porte Pairolière et à la tour Sincaïre.

C’est alors que, d’après certains, surgit une jeune lavandière Catarina Segurana suivie de plusieurs soldats niçois au sommet des remparts: elle brandit un battoir à linge à la main et assomme violemment l’enseigne turc, dont elle brise le drapeau au croissant. Elle parvient ainsi à galvaniser les troupes niçoises. On raconte même qu’elle aurait montré son « postérieur » aux troupes ennemies: une provocation insupportable! Toujours est-il que les envahisseurs renonceront provisoirement à leur entreprise.

Ils reviendront à l’assaut le 22 août: la ville basse tombe, mais la forteresse résiste toujours. Pendant ce temps dans le Piémont, le duc de Savoie Charles III réunit une armée qui marche sur Nice pour la délivrer. Les troupes franco-turques, prises en étau entre les Piémontais et la résistance niçoise, pillent la ville, emmènent des habitants en esclavage et se replient de l’autre côté du Var. Le 8 septembre Nice est libérée: pour la première fois depuis longtemps, des armées réputées invincibles seront battues, grâce bien sûr à l’intervention de l’armée piémontaise, mais surtout par l’intrépidité d’une femme du peuple, qui a su insuffler un esprit de résistance déterminant à la population de Nice.

Mais pourquoi cette alliance entre « la fille aînée de l’Eglise » et le croissant turc, qui paraît contre nature?

Un souffle d’indépendance

Depuis le milieu du XVe siècle, le duché de Savoie et le comté de Nice sont, à leur corps défendant, sous le protectorat du royaume de France. Or Charles III de Savoie, qui cherche à s’émanciper de cette tutelle, rompt ses relations avec les Français en 1521 et il épouse à Nice la belle-sœur de Charles Quint l’adversaire de François 1er.

Plus de vingt ans après, Charles Quint occupe Milan et en février 1543 le roi de France envahit la Savoie et le Piémont jusqu’à Turin. Charles III fuit alors pour Nice avec toute sa famille. François 1er est bien résolu à prendre la ville et il s’allie avec les Turcs qui lui apportent leurs navires de guerre. En juin les armées des deux alliés feront jonction à Marseille. On recense alors cent vingt navires et vingt mille soldats du côté franco-turc et seulement trois mille hommes du côté niçois pour défendre la ville. On connaît la suite…

Mythe ou réalité?

Certains biographes comparent parfois Catarina Segurana à d’autres mythes féminins et interprêtent sa figure comme un symbole de l’idéal féminin guerrier. Ils remarquent que son nom viendrait du verbe occitan « segar » qui signifie « faucher » ou « hacher », qui rappellerait Jeanne Hachette!

On remarquera dans un premier temps que la fuite des assaillants ressemble fort à un miracle. D’ailleurs les deux dates du 15 août -assaut repoussé par notre héroïne-, et du 8 septembre -libération de Nice- sont deux fêtes en l’honneur de la Vierge Marie.

Certains universitaires, comme Angelo de Gubernatis au début du XXe s., pensent que Catarina Segurana appartiendrait au mythe de la vierge guerrière que l’on rencontre dans toutes les civilisations, comme les Amazones dans la mythologie grecque ou les Walkyries dans la mythologie germanique. Le journal « Le Petit Niçois » du 23 septembre 1902 écrit que « les romanceiros de la péninsule ibérique, les ballades des troubadours basques et provençaux, les chansons populaires du Piémont nous ont transmis les gestes de ces jeunes filles au cœur viril, qui gardent à travers les dangers et les séductions des camps, la fleur de leur virginité ». Une chanson piémontaise de Constantin Nigra publiée en 1888 dans ses Canti popolari del Piemonte évoque aussi Segurana en parlant de ce mythe.

A ceux qui contestent l’existence de Segurana du fait qu’aucun témoin oculaire n’aurait relaté ses exploits, d’autres font remarquer que lors de l’annexion de Nice et de la Savoie par la première république française en 1793, les archives municipales et religieuses ont été dispersées voire éliminées. Toutefois le nom « seguran » figure sur plusieurs registres paroissiaux du XVIe siècle.

En 1877, l’archiviste des Alpes Maritimes a publié un extrait d’un document censé dater de 1543 et relatant le fameux siège de Nice où figure le nom de Segurana: « Du côté de terre, même cannonade: les turcs et les françoys mêlés ensemble donnaient trois assaults à la brèche du bastion de la Peyrolière jusqu’au-delà de la tour des Cinq Quayre ou Quinquangle, où combattait Ségurana, et si terriblement, que sans l’aide de Dieu qui ne voulait pas laisser répandre le sang de ses fidèles par de tels chiens, il est à croire que facilement ils fussent entrés »

Le 30 août 1608, le maire de Nice, dont les parents ont vécu le siège de 1543, prononce un discours sur Catarina Segurana à la cathédrale de Nice devant des citoyens niçois qui ont connu ces événements directement ou par leurs familles. On peut donc penser que l’exploit de Segurana n’est pas dénué de tout fondement.

De plus, lors de l’annexion définitive du comté de Nice imposée par la France de Napoléon III, le nom de Catarina Segurana incarnera le symbole de la fidélité à la Maison de Savoie. Des dizaines de poèmes, de chansons, de pièces de théâtre lui sont consacrés. La « Bugadièra » est devenue, dans la mémoire collective niçoise, une figure mythique de liberté et de résistance à toute oppression.

Georges LABOUYSSE

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