Édito n° 236

Cette crise est contenue dans les principes de la Constitution et alimentée par une tendance têtue à vouloir toujours créer un face-à-face avec le monarque

Que d’aveuglement autour de cette dénonciation d’une « crise démocratique » que nous vivrions depuis quelques semaines ! Elle n’est pas d’hier et elle ne date pas de ce débat sur la réforme des retraites. Nous y reviendrons.

Sur la crise actuelle, ce qui est absurde, c’est que l’exécutif n’ait pas compris la chance qu’il avait d’avoir face à lui, enfin, un bloc syndical uni et déterminé. Bien sûr c’est inconfortable pour l’exécutif de se trouver face à des opposants aussi déterminés ; mais quelle chance après des années et des années de baisse du taux de syndicalisation ! Ceux que l’on appelle les « partenaires sociaux » n’avaient cessé de perdre de la légitimité depuis des decennies et c’était franchement un vrai problème démocratique. Nous ne pouvons que nous réjouir que des organisations syndicales puissent enfin retrouver un peu d’énergie et de de nouveaux encartés.

Il en est des syndicats comme des partis ; il n’y a pas de démocratie sans ces organisations. C’est peut-être une vision des choses que certains jugeront vieillote mais jusqu’à ce jour on n’a pas trouvé mieux pour faire fonctionner une démocratie. Et comme les partis ont perdu leur prestige, parce qu’ils ont oublié d’être des lieux de réflexion et d’accueil, il reste peu de lieux pour que la démocratie se nourrisse. Le « dégagisme » n’a fait que renforcer un système qui donne à l’executif le rôle premier, presque unique. Et dans notre système le seul qui existe dans l’exécutif c’est le président de la République.

Anomalie démocratique

Donc, la crise démocratique est ancienne. Le président de la République, tel qu’il est élu, avec ses pouvoirs est une anomalie démocratique. On se tourne vers lui pour tout et pour rien. On entend même des commentateurs expliquer comment « gouverne » le président de la République. Mais ce n’est pas son rôle que de gouverner.

Dans le texte de la Constitution de la Vème République, ce n’est pas au président de gouverner. C’est le rôle du gouvernement et de son premier ministre. Mais le présidentialisme a tué le premier ministre.

Bref nous avons donc maintenant un face-à-face permanent entre le président tout-puissant et tous les autres. Tout débat se transforme en ce face-à-face qui n’a rien de démocratique puisque le président ne répond que par des débats ( gilets jaunes) des comités divers et variés ( Conseil national de la refondation et aussi ce prétendu échantillon de la société pour proposer des actions afin de lutter contre le changement climatique).

Et maintenant, la solution à la crise démocratique serait le référendum qui serait « la réponse du peuple au président ». Et pourquoi pas la réponse du peuple au roi ? Il suffirait de changer les mots.

La crise démocratique est dans les institutions mises en place dans le cadre de le cinquième Réublique. La présidentialisation du régime a fait disparaître l’intérêt de toutes les élections hors de la présidentielle. Cette prétendue « mère des batailles » s’est transformée en une illusion démocratique. Chacun a bien compris que le roi n’est plus légitime puisque choisi par défaut en 2017 et encore plus en 2022.

Le kilomètre carré du pouvoir

Ce qui est le plus inquiétant, dans cette affaire de débat sur la « crise démocratique », c’est que nous en sommes arrivés à un tel point que certaines solutions ne sont même plus évoquées. Personne ne remet en cause le présidentialisme ni le centralisme. Les commentateurs « autorisés » qui occupent les médias parisiens* ( les autres existent-ils encore ? ) ne disent jamais que l’on pourrait améliorer le fonctionnement démocratique en retirant une partie des pouvoirs à ce kilomètre carré où l’on trouve l’exécutif, le Parlement avec ses deux assemblées, la haute administration, les médias et une bonne partie du pouvoir économique, ou de ce que qu’il en reste.

Et maintenant voilà que l’on découvre le Conseil Constitutionnel ! Combien de citoyens avaient entendu parler de cette institution et en connaissaient le rôle avant cette séquence retraite ? Ces prétendus « sages » sont de mon point de vue une anomalie démocratique, notamment dans la façon dont ils sont nommés.  De plus,  ils ne se privent pas de faire de la politique quand il faut sauver le modèle centraliste et unformisateur. Voyez leur rôle lors de tous les textes liés aux questions linguistiques ou aux questions d’autonomie de certains territoires. Chaque fois les « sages » censurent les changements. Sa décision du jour, concernant la loi sur les retraites, n’a donc rien d’étonnant.

Se poser la question du centralisme

Quant à voir dans le référendum, qu’il soit d’initiative citoyenne ou pas, le fin du fin de la démocratie c’est, de mon point de vue, un refus de remettre en cause la façon dont se fait le choix de nos élus dans ce pays. L’absence de la proportionnelle, qui est la norme dans la plupart des démocraties, devrait nous interroger. Mais en France on ne s’interroge pas sur ce sujet. L’aveuglement a été assez grand pour laisser croire que la proportionnelle était un retour à la quatrième République. Ne pas la mettre en place était, disait-on, la seule façon de faire barrage à l’extrême droite. Le résultat est que nous risquons d’avoir l’extrême droite au pouvoir, en possession de tous les pouvoirs, puisque c’est ainsi que fonctionne notre système. Si vous avez la présidence de la République vous avez tout le reste.  Et chacun a bien compris que, malheureusement, la séquence qui se joue avec l’affaire des retraites, pousse des électeurs vers l’extrême droite. Cette dernière est à l’affût et tirera profit de tout : inflation et mécontentements divers.

Je ne crois pas que le référendum soit la solution à tous les maux démocratiques. C’est une arme à double tranchant. Qu’il est difficile de faire la différence entre référendum et plébiscite en certaines circonstances ! Donc il faut être prudent avec cet outil. Il peut être parfois une fausse bonne idée.

Cependant, cela ne peut que renforcer l’idée qu’il est nécessaire de créer des pouvoirs d’équilibre. Et pour cela il n’y a que la décentralisation, le fédéralisme. Ce serait le meilleur moyen de ne pas donner tous les pouvoirs au(x) même(s) et de dédramatiser les changements de majorité. Si la majorité change au centre elle ne change pas au même moment dans tous les territoires puisque les élections ne se déroulent pas toutes en même temps. C’est ainsi que les choses fonctionnent dans les pays fédéraux ou largement décentralisés.

J’aimerais entendre dans la bouche des responsables de l’opposition parlementaire cette parole concernant le centralisme. Mais on ne l’entend pas ou à peine ; et même quand on parle de la mise en place d’une nouvelle constitution nous n’entendons pas évoquée la nécessité de mettre fin à un centralisme étouffant, créateur d’une crise démocratique ancienne, permanente, durable.

David Grosclaude

* Leur rôle est devenu un vrai problème démocratique dans la mesure où les caméras sont toujours braquées en direct sur ce qui se passe à Paris, dans le kilomètre carré du pouvoir, et que tout le reste n’est qu’une succursale de l’actualité parisienne. Ils bâtissent une culture politique qui laisse croire que rien ne peut se passer hors Paris. Et cela est vrai en tous domaines.

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