Edito N° 234
Le retour du centralisme, quoi qu’il en coûte !
La politique qui s’annonce en matière d’énergie et de lutte contre l’inflation sert de prétexte à un retour en force du centralisme. Tel des parents qui donnent de l’argent de poche aux enfants, l’État va distribuer des chèques en direct aux citoyens. On l’avait déjà fait à la fin de 2021 et maintenant l’habitude est prise. Les collectivités comptent pour du beurre alors qu’elles pourraient être plus efficaces et plus pertinentes.
C’est le retour en force du centralisme et cette fois ci par la porte « pouvoir d’achat » et « lutte contre le réchauffement climatique ».
Oui, il faut bien que le centralisme se pare de quelques les vertus pour se justifier. Après des mois et des mois d’un discours assez hypocrite sur la nécessité de restaurer le pouvoir des élus de terrain, voilà le retour du naturel. En effet, avec la pandémie on avait entendu dire par les uns et les autres que la leçon était comprise, qu’il fallait faire confiance au terrain et aux élus locaux pour répondre de façon adéquate aux besoins de la population en cas de crise. Mais en fait, tout est redevenu comme avant, et c’est même pire.
Voilà que se trouve relancé le programme de construction de centrales nucléaires avec à la clé la renationalisation souhaitée de EDF. Vous savez cette entreprise qui avec l’EPR fait exploser les coûts de construction d’une centrale, celle de Flamanville. Nous allons avoir droit à plusieurs projets du genre et là nous sommes vraiment dans le « quoi qu’il en coûte ! ». Nationaliser EDF ! Voilà qui fait « de gauche ». Mais les raisons invoquées sont bien inquiétantes. Du nucléaire à profusion ! C’est reparti comme dans les années 1970 et le plan Messmer, la première vague nucléaire.
Centralisme dans la décision avec ce projet de nationalisation qui vient donc renforcer la centralisation de la production d’énergie. C’est le choix qui est fait avec le prétexte double du changement climatique et de la guerre en Ukraine. On renie ainsi tous les principes d’une politique écologique efficace. Le centralisme de la décision fait partie des raisons de l’inefficacité des politiques de lutte contre le réchauffement du climat. On le sait depuis les premiers écrits de ceux qui ont travaillé sur l’écologie politique. Ce sont les collectivités territoriales qui sont la clé en ce domaine, parce qu’elles font concrètement, elles réalisent des projets au plus près de la population et des réalités locales et régionales en matière d’environnement, de protection de la biodiversité, de transports aussi parfois.
Les États ne peuvent être efficaces
Le pouvoir des États est, quant à lui, limité par des réflexes que l’on peut qualifier de stato-nationalistes, de protection de certains intérêts qui font que l’on se préoccupe peu des résultats en matière de climat. Depuis que D.Trump a décidé de renier la signature des Etats-Unis sur l’accord de la COP 21 on commençait à dire que les États ne servent pas les intérêts de la planète. En effet, aux Etats-Unis, on a très vite compris que l’État fédéral n’était pas un acteur pertinent mais que c’étaient les villes et certains États fédérés qui étaient en pointe. Donc la décision de Trump ne changeait pas grand-chose aux projets concrets en matière de climat. Les réalisations concrètes étaient faites par d’autres que le pouvoir de l’État. Il y aurait d’autres exemples à donner en ce domaine parce que la capacité des collectivités territoriales à œuvrer dans le domaine écologique est visiblement bien supérieure à celle des États. Les premiers auteurs, qui dans les années 70 faisaient de l’écologie politique, le disaient déjà : pas de défense de la planète sans la participation des territoires : régions et grandes villes. (1)
En tous cas la relance du programme nucléaire n’est pas une bonne nouvelle. Décarbonée cette énergie ? Oui peut-être mais tellement polluante et tellement dangereuse pour la démocratie. Centralisme des décisions, centralisme des mesures de protection, centralisme de la production d’électricité : voilà la réalité du nucléaire alors que les solutions pour lutter contre le réchauffement appellent la décentralisation sur tous ces points. C’est la force des énergies renouvelables et surtout la clé pour la première source d’énergie qui est à notre disposition : la réduction de la consommation ou si vous préferez : la sobriété.
Il faudrait ajouter aux dangers du nucléaire la menace que l’on voit poindre en Ukraine : un centrale nucléaire est une cible vraiment pas comme les autres. Imaginez l’effet d’un bombardement sur une des centrales ukrainiennes.
La fragilité que cela entraine est évidente. En prenant une seule centrale les russes contrôlent une partie très importante de la production d’électricité du pays.
État-providence ou État-biberon ?
La centralisation est de retour ! Elle l’est aussi par la volonté affirmée de lutter contre l’inflation. Là nous atteignons des sommets. L’État, en direct va distribuer des chèques aux citoyens ! Pas d’intermédiaire. Ce n’est plus l’État-providence c’est l’État –biberon !
Un chèque pour permettre aux plus démunis de manger. C’est un peu comme si on avait décidé de nationaliser (d’institutionnaliser) les Restaurants du Cœur.
L’État central, va, en direct, en passant par dessus toutes les collectivités, tous les corps intermédiaires, toutes les structures telles les Caisses d’Allocation Familiales, donner de quoi manger aux ménages (9 millions). Comme s’il savait mieux que les autres identifier ceux qui ont besoin de cette aide ! Où sont donc passées les belles déclarations sur la pertinence du travail des élus locaux ?
Comment peut-on, si ce n’est pour des raisons de propagande politicienne et de volonté de frapper vite pour montrer que l’on agit ( ou que l’on s’agite, c’est au choix) , croire que depuis Paris, on va vraiment identifier comme il convient les besoins ?
On pourrait aider les circuits-courts
Comment peut-on justifier ces aides qui ne vont en rien tenir compte de la nécessité de faire vivre de petits producteurs locaux (fruits, légumes, viande, fromages etc…) ?
Sur les territoires, comme les communes ou les communautés de communes, on serait en capacité de bien identifier les besoins et surtout de diriger la dépense de ces aides vers ceux qui font vivre les territoires (2). Dépenser les 100 euros d’aide dans un supermarché qui fait venir des produits de loin est une aberration et surtout une contradiction énorme par les temps qui courent.
Combien de communes pourraient faire ce travail ? Beaucoup, mais à condition que l’on arrête de leur enlever du pouvoir et des moyens.
Je m’étonne ( à moitié seulement je le reconnais) que des maires et des présidents de communautés de communes ne protestent pas. (3)
La logique même de la lutte contre l’inflation est mise à mal par ce système centralisé. On participe à la mort des producteurs locaux qui ne vont pas profiter, comme ils le pourraient, de cette dépense des ménages. J’ajoute que cette volonté de dynamiser les circuits-courts aurait toute sa cohérence dans le cadre de la lutte contre les surconsommations d’énergie.
Dans le domaine de l’aide qui sera octroyée aux automobilistes aussi on nage en pleine contradiction. En effet, avec l’argument de donner de l’aide à ceux qui roulent beaucoup afin qu’ils puissent payer leur essence, on en oublie que l’objectif est justement de réduire cette consommation. Pourquoi ne pas avoir parlé d’aide au transport, ou à la mobilité comme on dit aujourd’hui. Pourquoi ne pas profiter de cette affaire pour encourager, partout où cela est possible, le transfert des voyages de la route vers le train ou le bus ?
Profiter de la crise pour changer
Je vis dans une commune de 3500 habitants qui a une gare : une chance ! L’aide pourrait être donnée par la municipalité en proposant un supplément à ceux qui iront travailler dans la ville-centre par le train ; c’est faisable. Mais rien n’est fait en ce sens. Déjà, je le reconnais, ma commune ne sait même pas profiter de sa gare. Pourtant donner plus à ceux qui choisiraient le train serait vertueux. Dans la situation actuelle l’État va de façon indifférenciée donner des aides qui sont en contradiction avec la politique énergétique nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique.
La crise serait une opportunité pour à la fois aider ceux qui ont besoin de compenser la hausse des prix du transport et promouvoir de nouvelles façons de se déplacer. Je sais pertinemment que dans certaines régions il n’y a pas de trains et que la voiture est indispensable mais il existe des cas où l’on oublie le train et le bus. De plus cela n’encourage pas la SNCF à proposer un service qui pourrait être de bien meilleure qualité qu’il ne l’est. On préfère endetter les collectivités pour les LGV.
L’État central voulant tout régenter va donc mener une politique qui ne prend pas en compte des réalités que des collectivités territoriales pourraient et devraient considérer comme prioritaires.
Je viens de donner un exemple qui n’est peut-être pas applicable partout mais qui montre la multiplicité des situations. C’est cette variété qui doit être prise en compte et qui doit donner lieu à des variétés de solutions. C’est là que le centralisme est impotent.
J’ajoute que, bien entendu, la meilleure politique pour aider ceux qui vont souffrir de la hausse des prix passe aussi et surtout par la hausse des salaires. Ce n’est pas la peine de glorifier la « valeur travail » comme disent certains, pour en arriver aujourd’hui à cette politique de distribution de chèques, tels des parents donnant de l’argent de poche à des enfants.
David Grosclaude
° Il faut lire ou relire le livre de Denis de Rougemont « L’avenir est notre affaire » (1977). Pour lui pas de salut pour la planète sans une fédéralisation, sans une intervention du pouvoir régional et local.
° Il existe dans beaucoup de communes des AMAP, des associations diverses qui cherchent à aider les producteurs locaux et à promouvoir la consommation de productions de proximité. Pourquoi ne pas favoriser cette consommation ?
° Je dis « à moitié » dans la mesure où le centralisme a ceci de grave c’est qu’il crée des élus locaux qui sont parfois très heureux qu’on ne leur donne pas de responsabilités. Tous ne sont pas ainsi heureusement mais le système finit par créer dans certains endroits des élus très dociles face au pouvoir central, à ses représentants et à ses décisions.