Le temps circulaire et le temps linéaire sont deux conceptions du monde et deux évolutions possibles différentes, celle des cultures païennes comme les Grecs anciens ou les Amérindiens, et celle, judéo-chrétienne, des Occidentaux. La seconde a conquis et dominé
l’autre pour imposer sa vision linéaire du temps historique.

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Relation et interdépendance

Les Amérindiens concevaient le monde autour du cercle. Les cercles s ont partout dans la nature: la Terre, le soleil, les étoiles et leur
mouvement, le nid de l’oiseau, les ronds d’une pierre jetée dans l’eau d’un étang; et aussi les cycles des saisons, du jour et de la nuit, des migrat ions d’oiseaux ou de poissons; le parcours de l’être humain sur ter re, qui sort du néant ou monde des esprits pour y revenir.

Tout est lié de façon circulaire ou cyclique, tout meurt ou disparaît mais pour mieux se renouveler. Nous faisons partie intégrante de
c et univers harmonieux où tout n’existe qu’en relation et interdépendance. Nous ne pouvons pas nous en abstraire et décider non seulement que nous en sommes les maîtres mais que nous pouvons en abuser à notre guise sans en subir les conséquences  désastreuses.

C’est pourtant cette croyance en un temps linéaire où le futur est symbole de progrès et le passé de régression et d’obscurantisme qui a
peu à peu coupé les Occidentaux de leurs liens à la planète Terre. Au nom du progrès, on a exterminé ou asservi d’autres peuples pour leur imposer une civilisation des sciences et techniques que l’on croyait supérieure, on a exploité et détruit les richesses naturelles au
même rythme que disparaissaient les langues, les cultures et la biodiversité animale et végétale.

On a même privatisé le vivant et tout ce qui conditionne notre survie d’êtres humains : les graines avec les manipulations génétiques, les plantes avec des brevets déposés sur certaines espèces sauvages, l’eau aux mains des multinationales de la dépollution, la terre des
petits paysans d’Afrique ou d’Asie, vendue aux pays riches mais pauvres en ressources agricoles.

Le progrès revient à rationnaliser la production d’un matériau — vivant ou non — grâce à la science, pour en tirer un maximum de profit. Deux exemples montrent que même ce qui semble le plus éloigné d’un perfectionnement technologique est soumis à  rentabilisation.

Les abeilles

On sait que les pesticides sont cause de leur disparition progressive, mais les techniques apicoles n’auront pas été étrangères à cet effondrement des essaims. Les apiculteurs ont éliminé la plupart des a beilles locales , par hybridation avec d’autres espèces de  différents pays, en sélectionnant les reines sur certains critères, en les inséminant artificiellement.

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Au lieu de r especter le c ycle naturel de l’abeille et son repos hivernal, ils les nourrissent à l’automne et en hiver pour relancer la ponte avant l’heure et qu’elles produisent  plus tôt au printemps. L’Inra a même créé la triple hybride, une abeille capable de produire 30 à 40 kilos de miel de plus par  a n ! Mais cette chimère génétique n’a pas eu grand succès car il faut la reconstruire à chaque fois à partirde souches pures. Les gains sont déris oires par rapport aux pertes. La reine qui vit de 3 à 5 ans dans la nature, doit être changée au bout d’un an en  élevage. Elle doit pondre de plus en plus et à un rythme accéléré d’où son épuisement rapide. Les critères de sélection des reines — prolificité,  productivité, douceur — en laissant de côté tous les autres critères, font des lignées beaucoup plus fragiles,  beaucoup moins résistantes aux maladies.

Les adeptes des abeilles locales ont remarqué qu’elles sont plus agressives mais se défendent mieux contre les maladies et les   prédateurs, passent mieux l’hiver pour peu qu’on leur laisse gérer leur miel au lieu de leur donner une nourriture artificielle.

L’essaimage, normal dans la nature est contrôlé par les apiculteurs, empêchant le renouvellement du cheptel et parfois sa survie.

Enfin, il y a appauvrissement génétique : aux USA, 2,5 millions d’essaims sont issus d’à peine 400 reines-mères. Or « la force d’une
espèce dépend de la diversité génétique de sa population » et « conserver la biodiversité, c’est conserver les possibilités de défense contre les agressions extérieures ». Et elles sont nombreuses, avec les pesticides, les Ogm, les monocultures, la disparition de la flore sauvage.

 

Les huîtres

Image9Leur production semblait difficilement industrialisable. Pourtant de nouvelles techniques d’élevage plus compétitives sont apparues.
En Occitanie, que ce soit dans les eaux tièdes des étangs de Thau et Leucate où les huîtres sont élevées en suspension sur des cordes
immergées, ou dans les eaux calmes du Bassin d’Arcachon où l’élevage se fait à plat, les huîtres d’origine ont pratiquement disparu. En
cause bien sûr la forte affluence touris tique que c onnaissent ces deux régions, l’urbanisation galopante et les pollut ions qui en
découlent. Après l’huître portugaise, décimée par un virus, une huître japonaise, la gigas, a été implantée et semble résister. Mais le naissain, tradit ionnellement capté sur des collecteurs chaulés, est désormais produit pour moitié dans des écloseries industrielles.

En 1997, l’Ifremer de La Tremb lade a créé par manipulat ions chimiques des mâles tétraploïdes (ayant 4 paires de chromosomes).

L’écloserie loue une huître mâle au prix fort, répand sa semence dans des bocaux d’eau de mer contenant des huîtres diploïdes  (normales, à deux jeux de chromosomes), et obtient des larves triploïdes (trois paires de chromo-somes). Un mâle génère ainsi jusqu’à
2 00 tonnes d’huîtres . Les larves s ont nourries au phytoplancton pous sé sous lumière art ific ielle dans une eau de mer additionnée
de sels nutritifs. Au stade de 1 cm, les petites huîtres sont achetées par les ostréiculteurs qui les cultivent un an et demi en pleine mer.

Les  triploïdes sont stériles, elles ne sont donc jamais laiteuses et peuvent être commercialisées toute l’année. Comme elles ne  dépensent pas d’énergie à se reproduir e, elles poussent en deux ans au lieu de trois pour une huître naturelle. Revers de la médaille, les huit  écloseries existantes ont le monopole de la production de triploïdes qui représentent aujourd’hui 50% des huîtres  consommées. Certaines triploïdes n’étant pas entièrement s tériles, elles se reproduisent en milieu marin et risquent de contaminer génétiquement les stocks de gigas.

Ces deux dernières années, les huîtres juvéniles ont connu un taux de mortalité inquiétant (près de80%) dû à un virus herpétique qui a
infecté les triploïdes et gagné tous les naissains. L’Irlande a interdit l’importation de naissain d’écloseries françaises.

Autre aléa, si quelques huîtres tétraploïdes s’échappent des écloseries, cela entraînera « en une dizaine de générations, le basculement
vers une population exclusivement tétraploïde » (INRA, 2004).

Où est le progrès ?
Dans ces deux exemples, la rentabilisation du vivant grâce à la science  est-elle un progrès ou une mise en danger de la biodiversité et donc de notre survie ? Ce qu’on appelle “avancée technologique” est en fait la croyance illusoire que l’être humain peut faire mieux que  a nature dans son extraordinaire complexité. Les éleveurs laitiers à l’herbe l’ont compris, qui ont choisi de travailler avec la nature et non contre elle. Certains apiculteurs aussi qui essaient de retrouver les races locales d’abeilles mieux adaptées à leur biotope et mieux à même de se défendre contre les agressions environnementales. Une trentaine d’ostréiculteurs de 7 bassins différents ont  choisi de  valoriser les huîtres nées en mer et vendent leur production sous l’appellation « ostréiculteur traditionnel ».
Ceux-là sont revenus au temps circulaire, laissant à la nature le soin de renouveler la ponction modérée qu’ils font sur le milieu. Ils  agissent en utilisateurs et non en prédateurs de ressources limitées. On peut utiliser la technique mais après avoir réfléchi à toutes ses  implications futures. Le monde doit évoluer à la manière d’un arbre, se projetant toujours plus haut dans le ciel de l’avenir, mais restant profondément enraciné dans la terre d’origine.

 

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