Une polémique a surgi récemment dans les médias, sur La Dépêche en particulier, à propos du nom « cathare » attribué aux hérétiques des principautés méridionales…. Pour une certaine « nouvelle vague » d’historiens du Moyen Age, il n’y aurait jamais eu d’Eglise cathare dans ce qu’ils appellent « le Midi », mais seulement des « hérétiques », qualificatif donné par l’Eglise catholique! Alors qu’en est-il exactement?

Origine de la polémique

Au mois d’octobre dernier, l’université Paul Valéry de Montpellier ouvrit au public une exposition cofinancée par la « région Occitanie » et organisée par une médiéviste non spécialiste des Cathares, au titre provocateur: « Les cathares: une idée reçue!« . Pour les adeptes de cette thèse, l’hérésie méridionale ne serait qu’une invention du XIXe siècle; et ils affirment péremptoirement: « Les cathares n’ont pas existé dans le Midi.« . Pour crédibiliser ses propos, cette universitaire de Montpellier proclame urbi et orbi que « la plupart des médiévistes qui s’occupent des questions d’hérésie » partageraient ses positions.

De plus, si elle reconnaît que « nous avons des milliers de sources produites dans le Midi, comme les procès-verbaux des interrogatoires menés par l’Inquisition, ou les chroniques de la croisade contre les Albigeois », elle déclare que « ces sources ne parlent jamais de cathares », que ces derniers ne seraient cités que dans des écrits extérieurs, en Allemagne par exemple, et enfin que « ni les nombreux inquisiteurs méridionaux, ni les chroniqueurs qui suivent les croisés ne voient la trace de ces cathares »…

Elle en conclue qu’ « une Eglise cathare présente dans le Midi ainsi que dans tout l’occident » est un mythe: « Dans le Midi, ce mythe réapparaît et se renforce au cours du XXe siècle et nourrit la construction identitaire de la région ».

Une querelle des Anciens et des Modernes?

Si le rôle d’un historien-chercheur est d’analyser scrupuleusement les documents étudiés en les replaçant dans le contexte de leur époque, il apparaît que les affirmations péremptoires évoquées ci-dessus sont loin des réalités historiques que des historiens aussi sérieux qu’Anne Brenon ou le regretté Jean Duvernoy ont mises en évidence.

Dans cette affaire, on dirait qu’on assiste à une querelle « des Anciens et des Modernes » sur deux simples mots: Eglise et cathare! Et l’on peut regretter le manque de modestie de ces derniers dans leurs propos contre le travail remarquable, que leurs prédécesseurs ont réalisé autant sur des documents écrits que « sur le terrain ».

Que les « dissidents » de l’Eglise catholique dans le comté de Toulouse (et non dans le « Midi »!) au Moyen Age soient appelés cathares, tisserands, manichéens, albigeois ou autrement… quelle importance? L’Eglise romaine les désignait comme « hérétiques » et eux-mêmes ils se disaient « Bons Chrétiens » et « Bonnes Chrétiennes » ou « Bons Hommes » et « Bonnes Dames ».

Alors faut-il nier l’existence d’une Eglise chrétienne dissidente organisée en Occitanie, qu’on appelle « cathare » aujourd’hui par commodité car mieux compris par le public?

« Il y a deux Eglises… »

De nombreux textes nous montrent la vie de ces communautés religieuses « hérétiques », avec leurs diacres et leurs évêques, leurs « Fils majeurs » et « Fils mineurs », … sans compter la masse du clergé ordonné, que l’Inquisition appelait « Parfaits » et « Parfaites », avec leurs rites et le sacrement du « consolament« . Autrement dit toute une hiérarchie qui n’est pas celle de l’Eglise catholique, mais d’une autre Eglise, dont il serait stupide de nier l’existence.

Nouveau Testament et Rituel cathare (Bibliothèque municipale de Lyon, Ms P.A.36)

Dans les documents de la « Croisade contre les Albigeois » évoquant Villemur-sur-Tarn par exemple, on parle d’une centaine de « Maisons » regroupant des communautés de « Bons hommes » et de « Bonnes Femmes » avec leurs diacres. Plus tard devant l’Inquisition, la montalbanaise Arnaude de Lamothe qui a vécu longtemps dans une de ces communautés évoquera la fuite de l’Eglise des bons hommes de Villemur devant la menace des croisés en 1209: « Pris de peur, le diacre hérétique Raimon Aimeric quitta Villemur avec tous les hérétiques, hommes et femmes. Au terme du premier jour, nous arrivâmes à Roquemaure, à la maison des parfaites, dont j’ignore les noms. »

Quant au terme de « cathare » pour désigner cette Eglise chrétienne dissidente dans le Comté de Toulouse au XIIIe siècle, on le retrouve dans divers documents incontestables. En 1179, le canon 27 du concile Latran III dit: « Dans la Gascogne albigeoise, le Toulousain, et en d’autres lieux, la damnable perversion des hérétiques dénommés par les uns cathares, par d’autres patarins,[…] a fait de si considérables progrès…». Le 21 avril 1198 le pape Innocent III écrit aux évêques des pays d’Oc: » Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares, patarins… ». Dans le « Livre contre les Manichéens », son auteur désigne ainsi les hérétiques du Languedoc: «  les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… » Un hérétique repenti, Rainier Sacconi, écrit dans un ouvrage contre l’hérésie:  » il faut noter que les Cathares de l’Eglise toulousaine, de l’albigeoise et de la carcassonnaise etc… »

Enfin Peire Autier, dit « l’Ancien », qui a redynamisé la dernière Eglise cathare du comté de Foix au Quercy, au début du XIVe siècle en pleine persécution inquisitoriale, est très clair: « Il y a deux Eglises: l’une (celle des cathares) fuit et pardonne, l’autre (celle de Rome) possède et écorche« … Tout est dit!

Pourquoi déconstruire?

Dans la revue académique d’histoire-Géographie « Pastel » (novembre 2018), l’historienne Pilar Jiménez fait un point très précis sur cette question et interroge les « déconstructeurs du catharisme »: « Pourquoi tant de volonté manifeste à démonter un paradigme, celui du catharisme et à nier l’existence d’une Eglise dissidente? Quels sont les enjeux? »

Après les cathares, va-t-on nier l’existence d’une Eglise arienne des Wisigoths de Toulouse au Ve siècle, puis celle des Vaudois contemporaine des Cathares… et pourquoi pas celle du protestantisme au XVIe siècle, pour enfin glorifier celle de la « sainte inquisition » dominicaine tout en justifiant les conquêtes capétiennes des pays d’Oc par la force des armes et des bûchers?…

Alors au lieu d’ignorer systématiquement les études et leurs auteurs mettant en évidence l’existence d’une Eglise cathare dans le comté de Toulouse, « les tenants de la nouvelle approche » qui nient cette existence feraient preuve d’intelligence scientifique au service de la vérité historique, en se joignant aux premiers pour partager en toute sérénité l’étude des sources du catharisme. C’est ce que fait depuis 2012 le CIRCAED (Collectif International de Recherche sur le Catharisme et les Dissidences).

Georges LABOUYSSE, 15 novembre 2018.

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