L’échec du « progrès » à l’occidentale remet en question tous les credos du 20ème siècle : l’utilisation intensive des ressources pour notre bien-être matériel, la massification de la production pour une consommation à la portée de tous, le gigantisme des réseaux énergétiques, des exploitations agricoles, ou des installations industrielles pour un meilleur rendement. Il faut désormais penser petit, local, économe, recyclable.

C’est ce que les gens faisaient avant les « révolutions » industrielles et agricoles et ce vers quoi la raréfaction des ressources naturelles et leur épuisement nous poussent inéluctablement. Mais la prise en compte de notre environnement ne sera une réponse efficace que si elle s’appuie sur la culture et les savoir-faire des populations autochtones. C’est ainsi qu’elle entraînera leur adhésion et élargira la base de la contestation écologique.

Exemples cubain et anglais

Un pays, Cuba, et une ville, Totnes i llustrent les réponses possibl es déjà données. Après la chute de l’Union soviétique, en 1991, l’économie cubaine, basée sur une agricul ture productiviste du t out pétrole impor tée d’URSS, s’ est effondrée. Comme, de plus, c’était une agr iculture d’expor tati on (agrumes, tabac, sucre), le pays importait 66% de ses denrées alimentaires. Une « période spéciale » très difficile a suivi, la population a perdu 15 kg en moyenne, et une révision complète des priorités s’est opérée. Il fallait d’abord se  nourrir.

On a choisi l’agriculture biologique puisqu’il n’y avait plus de pesticides, la t rac ti on animal e en l’absen ce de carburant, les fertilisants naturels pour remplacer les engrais chimiques. On a favor isé l ‘hor ticulture de pro ximité po ur pall ie r aux transpor ts quasi inexistants. Tous les terrains vacants o nt été di stribués à qui voulait l es cultiver et les jardins ont fleuri partout dans les villes, sur les terrasses d’immeubles, dans l es patios, des containers, des pneus. Les fermes d’État seso nt transfo rmée s en coo pé rative s’alimentant hôpitaux, crèches, écoles et vendant librement le surplus. Par tout des marchés paysans se sont installés au plus près des  consommateurs, des coopératives hor ticoles urbaines, des boutiques de graines et d’outillage avec conseils de spécialistes.
La recherche agronomique de pointe s’est orientée vers le vermicompostage, les bio-pesticides, la protection biologique des sols. Le manque de médicaments  à base de pétrochimie a consacré le retour des plantes médicinales cultivées dans de nombreuses fermes. La
population ne consomme plus que bio et  en retire d’énormes bénéfices: la mortalité infantile est inférieure à celle des USA et l’espérance de vie équivalente.

Les sols sont régénérés, l’eau et l’air plus sains, les déchets recycl és, les transports limités, l’emploi développé. Totnes est une petite ville anglaise du Devon où a démarré en 2006, le mouvement des « Ville s en trans ition ». Son initiateur, Rob Hopkins a réfléchi à
une strat égi e pour l ‘après-pé tro le, après avoir écouté plusieurs conférences sur le pic pétrolier, situé vers 2010 par les géologues.
Comment passer d’une soci été du tout-pétrole — il suffit de regarder la composi tion des objets de notre vie qu otidien ne po ur nou s en ren dre compte — à une so ci été sobre de l’économie et à une utilisation raisonnée des re sso ur ce s l ocal es ? Tout simplement en se réappropr iant l es techniques uti lisées avant le pétrol e, connues des personnes âgées. En les écoutant raconter l eur vie passée et
décrire les différents métiers d’alors, on apprend auprès d’eux, ou ils deviennent formateurs dans des ateliers d’apprentissage installés dans les écoles. On t ro uve ainsi de s so lut ion sjudicieuses car issues d’une connaissancean ci enn e et f ine du mi l ieu environnant. Et on associe toutes les couches de la population à la société detransition, le but étant de diminuer l’uti li sation d’énergi e fossi le par la
communauté mais aussi d’augmenter sa cohésion. Le groupe de convaincus regroupés autour de R. Hopkins sait que les mentalités n’évoluent pas en un tournemain. Il s font des conférences des projections de films, des réunions où chacun prend la parole, des fêtes.

Ils ont ouvert une université de la transition où on vient apprendre les savoirfaire anciens mais aussi les nouveaux : solaire, biomasse, éolien… La nourr itu re est notre premi er besoin, ils créent donc des potagers partout, même à la place de parkings, des jardins par tagés avec des personnes âgées qui ne peuvent plus faire le leur. Ils plantent des arbres utiles plutôt que décoratifs et réapprennent à  entretenir les vergers et conserver les fruits. Ils s’inspirent de Cuba par pragmatisme, sans adhérer au modèle politique. Ils réfléchissent : que peut-on fabr iquer soi-même, qu’est-on obligé d’importer ? Et la réflexion dans les pays anglosaxons est fac ilitée par l’habitude de compter sur l’individu, non sur l’État pour changer les choses. Les transformations se font de la base vers le sommet.

C’est l’inverse en France. L’État protège, prévoit, décide pour la population. C’est du moins ce que croient les gens qui attendent tout de lui et peu d’eux-mêmes et acceptent la contrepartie : un État centralisé jusqu’à la car icature qui a uniformi sé et tenté d’étouffer les cul tures et langues de l ‘h exagone. C’ est pour tant dan s la r ichesse de cette diversité encore vivante malgré des siècles de négation et
d’ oppre ssi on que l’ on trouvera no s réponses.

Agir ici…

En Limousin comme ai ll eu rs, l’habitat est né des matériaux locaux : granit et ardoise à l’est, schiste et tuile  à l’ouest, l’épaisseur des murs servant d ‘ i s o l a t i o n . « Ce modèle n’est pas tombé du ciel (…), c’est ce qu’on peut faire ici, avec l es maté riaux d’ici , pour l es be – soins des gens d’ici, tous les besoins »(1).
L’eau est présente partout, sources, ruisseaux, tourbières, marécages. Les paysans, reprenant les techniques des communautés rel igi euses du Moyen Age, ont mis au point un système ingénieux de canalisation de cette eau par un réseau de rigoles, « las levas », et de
rigoles secondaires, « las levadas ». Elles permettaient l’irrigation des prés, l’évacuation des eaux stagnantes et l’approvisionnement
de petits moulins. Cette i rr igation réchauffait la ter re après l ‘hiver, la fertil isait et ac cél érai t la pousse de l’herbe nécessaire aux troupeaux de brebis et de vaches limousines. Pas de forage pour pomper de plus en plus profond dans les nappes ph ré at iques aprè s avoir drainé ou épuisé et pollué les nappes de surface, pas de technologie lourde émettrice de CO2, pas de main-mise d’un particulier
sur un bien nécessaire à tous. Pourquoi ne pas se réapproprier ces savoir-faire « pour la mise en valeur et la gestion de tourbières et de zones humides » et « une gestion agri cole per tinente et r espectueuse de ces espaces » ? (2) …

Avec la langue

Mais cette appropriation sera un échange d’autant plus riche qu’elle se  fera avec la langue ou dans la langue. »Les langues sont en ef fet e ssentiell es  pour l’identité des groupes et des individus, et pour leur coexistence pacifique. Elles constituent un facteur stratégique pour la progr ession ver s un développement durable et pour une ar ticulation harmonieuse entre le global et le local ».

« Le s langu es , ce son t aus si , …, de s mod es u niqu es de pens é e et d ‘expression »  (3). La langue façonne l’action et la création : « il y a une architecture f rancophone , une cé ramique francophone parce que par la langue, on arrive à une sens ibi lité particuliè re » (un
écrivain sénégalais à la radio) »; « il y a une philosophie anglaise différente de la phi losophi e français e, à caus e de la l a n g u e  » (un éc rivain québécoi s). Non seulement la langue parle du paysage dans les noms de parcelles, de villages,de cours d’eau mais c’est avec elle  que les gens d’un pays inventent des outilspour s’abriter, s’habiller et se nourrir et c’est elle qui nourrit leurs rêves et leur imaginaire.
Une langue n’est pas seulement une suite de mots, c’est l’expression d’une identité, c’est une force créatrice quand on en est f ier , et un boulet quand on l ‘assimile à la honte de soi inculquée par la culture dominante.

Reconnaître la valeur d’un savoir-faire et de la langue qui l’a forgé c’est accepter la diversité  des formes de pensée, participer au génie   collectif d’une communauté et lui rendre ce qu’on lui a volé, l ‘estime d’ el le -même. De nou veaux venus, souvent du nord de  l’hexagone ou de l’Europe, se sont installés en Limousin comme dans d’autres régions occitanes, attirés par une nature plus ou moinspréservée et des vil lages dépeupl és.

Mai s sou ven t, comme les premi ers  Européens en Australie, ils se croient sur une terre vierge de toute cul ture préexistante. Ils forment des communautésexpérimentales, à la recherche de voies nouvelles. Et passent à côté des connaissances accumulées au cours
des siècles par les populations autochtones. Pour se rencontrer, il suffirait, comme le dit M.F Houdart à propos du Limousin, d’ac cepter « l ‘idé e d’u ne cul ture limousine » ( / o c c i t a n e )  » c o m m u n e assumée, revendiquée, non pas comme un conse rvatoire sc lérosé mais comme  une sourc e d’inspiration qui ne c raindrait pas de s’enrichir d’apports venus d’ailleurs » (4)

Viure al país

Beaucoup de jeunes occitans, après  avoi r été poussés à s’exi ler po ur   »réussir », ont compris que la réussite, c’était aussi le bonheur de vivre au  pays. La fierté de son histoire, de sa  langue et de sa culture donne l’envied’innover et de bâtir ic i. Il faut pour cela « interroger les mémoires, celles des hommes et des femmes, celles des lieux, … fouiller dans son passé pour prendre consci ence de ce qui est ar rivé, … le revendiquer et être ainsi capable de prendre le relais. Mais attention, pas po ur se c ramponne r à de vie il le s coutumes mortes et en faire du folklore, mais pour les faire siennes, les vivre et les faire vivre et y trouver les bases de la création » (5). C’est à eux de faire le lien entre le passé et l’avenir, de s’éloigner d’une société de gaspillage et de destruction des ressources, d’appauvrissement de tous au profit de quelquesuns pour construire un monde neuf où  chacun aura sa place, épanoui dans sa culture et respectueux de la nature.

Danisa Urroz

1 P. Eymard « Les maisons des paysans d’ici » p.9 in « Pays et Paysans du Limousin » M a r i e – F r a n c e
Houdart p.145

2 « Memòria de l’aiga. Enquête ethnolinguistique sur l’eau en montagne limousine. » Pascal Boudy, Jean-Marie Caunet, Jean-François Vignaud.
3 Message de M. Matsuura, directeur général de l’UNESCO, 2008.

4 « Compr endre le pays limousin …et y vivre …e l’i viure » Marie-France Houdart, p.66 5 id. p.83

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