Ai ! Tolosa e Proença
e la tèrra d’Argença,
Besièrs e Carcassei
com vos vi e co’us vei!
Hélas! Toulouse e t Provence / et la
te r re d’Argenc e ,/ Bézi e rs e t
Car cassé s, / comme je vous vis et
comme je vous vois !
Bernard Sicard
de Maruéjols (1230)

Devant l’accablement des populations et le découragement  de ses alliés, Raimon VII donne les pleins pouvoirs à l’abbé de Grandselve le 10 décembre 1228, pour négocier un accord de paix avec le médiateur désigné par Blanche de Castille, sur la base des grandes lignes ébauchées à Baziège quelques semaines auparavant.  À savoir : réconciliation de Raimon VII avec l’Église s’il s’engage à lutter contre l’hérésie ; conservation de ses titres et de ses  possessions s’il reconnaît le roi de France comme suzerain.

Rencontre à Meaux

Les deux parties se réunissent à Meaux en janvier 1229 et le comte de Toulouse signera là un document préliminaire dont les clauses
lui paraissent acceptables. Or, cette assemblée de Meaux va se transporter à Paris « pour que tout se terminât en pré sence du roi », rapporte le chroniqueur Guilhem de Puylaurens.

Le jeudi 12 avril 1229, sur le parvis de Notre-Dame, devant tous les grands seigneurs de France et ceux des pay s occitans , on lit à
Raimon VII les 32 articles du traité revu et corrigé par Frangipani. Et là, stupéfact ion ! Des phrases du document de Meaux ont été cyniquement remaniées, d’autres rajoutées… si bien que les conditions de paix signifient à présent une véritable capitulation, voire l’annexion du comté de Toulouse.

Réécritures

Ainsi par exemple, dans le document de Meaux il est prévu le ma riage de la fille du comte, Jeanne de Toulouse, avec un frère du roi et il est écrit qu’elle héritera des terres du comté à la mort de son père, et que « si notre susdite f ille mourai t avant nous sans enfants, et que nous ayons d’autres f ils nés de légi time mari age , le di oc èse de Toul ous e leur ser ait dévolu ». Or , dans le tra ité de Par is, changement « de décor ». Ce n’est plus Jeanne qui héritera , ni s es autres frères éventuels. On y lit: « Après notre mort, Toulouse et le
diocèse de Toulouse seront au frère du seigneur roi qui aura épousé notre fille et à leurs seuls descendants. » Et plus loin : « Si notre fille mourait sans avoir eu d’enfants du frère du seigneur roi, que Toulouse et le diocèse de Toulouse reviennent de même au seigneur roi et à ses héritiers, en sorte que, quoi qu’il arrive, Toulouse et le diocèse de Toulouse reviennent à notre mort au seigneur roi [.. .] ». Comme on le voit, tout a été bien ficelé… sur la route de Meaux à Paris ! Le seul côté positif de ce traité détestable pour les occitans, c’est que Raimon VII est reconnu comte de Toulous e par le ca pét ien et l’Église, mais c’est en échange d’un engagement lourd de conséquences:  une lutte impitoyable contre les « hérétiques »; le mariage de sa fille avec un frère du roi ; et surtout la reconnaissance du frère du roi ou du roi lui-même comme seuls héritiers du comte à sa mort. Ce qui signifie à terme une annexion pure et simple des terres occitanes par la France capétienne.

Le roi de France comme suzerain

De plus, Raimon VII doit reconna ître le roi de France c omme suzerain, alors qu’il était totalement indépendant du r oyaume jusque là. Il est contraint aussi de rémunérer les professeurs parisiens d’une université créée à Toulouse le 24 mai 1229, qui sera chargée de
former les cadres de la répression politique et catholique, à la fois donc contre les hérét iques reconnus, et aussi contre toute contestation de la popula tion oc citane suscept ible de remettre en cause l’ordre nouveau établi par Paris.

L’humiliation

Après la lecture publique et la signature de ce traité de la honte, Raimon VII, comme son père en 1209 à Saint-Gilles, sera humilié
devant toute la cour de France : « en chemise et en braies, les pieds nus », il sera conduit par le légat du pa pe devant le grand autel de
Notre-Dame pour entendre levée son excommunication… À travers le comte de Toulouse, c’est tout le peuple occitan qui est traîné à terre, bafoué, trahi, humilié et bientôt colonisé. Les auteurs de l’Histoire du Languedoc, pourtant bénédictins, écriront au début
du 18e siècle : « On voit par ce traité que les principaux instigateurs de la guerre cont re Raymond, songeaient bien moins à s’assurer de sa catholicité qu’à le déposséder de ses domai nes et à s’e nrichir de ses dépouilles. »

 

La forfaiture de Rome

Et le troub adour toulousain, Guilhem Figueira, contemporain des fa its , crie sa colère contre l’Église : « Rome, si grande est votre forfaiture Que de Dieu et se s s aint s plus personne n’a cure Votre règne est maudit, Rome fausse et parjure C’est par vous que se fond
S’étiole et se confond Ici-bas toute joie. De quelle démesure Accablez-vous Raimon ! »

 

L’annexion

Avec ce traité de Paris , suivi d’un acte semblable à Saint-Jeande-Verges pour le comté de Foix et précédé d’un « hold-up » sur  l’ancienne vicomté Trencavel, le roi de France a b ien annexé toutes les terres occitanes de la Garonne au Rhône. Il a ccède a insi pour la première fois à la mer, et c’est, à n’en point douter, le début des annexions de territoires et des colonisations par la France autant en
Europe qu’au delà des mers, une politique qui se poursuivra sans interruption jusqu’à nos jours par l’État français monarchique,  bonapartiste ou républicain.

Georges Labouysse

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