La pléthore des affaires en France

Sous l’effet de la crise multilatérale du sys tème néolibéral, l’on assiste à la décomposition rapide du « modèle » républicain français.
À l’échelle de l’Europe, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la Hongrie… sont autant de pays dont les acquis sont dramat iquement menacés
par les marchés et lobbies financiers, qui tentent d’imposer leurs diktats aux gouvernements en place.

En France, une véritable crise de régime s’est ouverte, à l’occasion du débat sur le projet de contreréforme des retraites : est-il légitime
que des sacrifices croissants soient imposés au plus grand nombre par la caste d’affairistes actuellement aux commandes ? Le combat pour la démocrat isation des institutions nationales devient une nécessité de l’heure. L’a ffa ire Woerth-Bettencourt semble concentrer en effet un ensemble détonnant de dér ives engendrées par la gouvernance néo-libérale : conflits d’intérêt ,fraude et évasion fiscales, trafic de biens publics et de récompenses honorifiques, prises illégales d’intér êt, financement occulte de campagnes électorales…

Hormis c et te actua lité, les affaires ont défrayé la chronique médiatico-judiciaire dans la dernière décennie, trop souvent étouffées.
Certaines ont fait l’objet de procès inaboutis, d’autres ont été rapidement écartées par les pouvoirs en place : financement de
certains partis politiques à Paris et en Île de France, caisse noire de l’UIMM, procès Elf, Angolagate et procès de Charles Pasqua, délits
d’init iés à Air bus, a ffair e de Karachi (rétrocommissions illicites), pour laquelle Nicolas Sarkozy et Edouard Balladur pourraient
être mis en examen pour le financement de la campagne de ce dernier.

Sans parler de la tentative népot is te avortée de gest ion de l’EPAD par le fils du président. De manière générale, la délinquance
polit ico-financière au sommet de l’État impliquerait de nombreux dirigeants de l’UMP en exercice ou proches du parti-État,
que ce soit des ministres, des magistrats aux ordres, dont le premier d’entre eux… Leur arrogance à transgresser les limites de leurs
attributions et les lois en vigueur est proportionnelle à leur sentiment d’impunité face au manque d’indépendance de la justice.
En France, comme le savent bien les partisans de l’autonomie des r égions, le néolib éralisme s’appuie sur une lourde tradition,
atavique même, d’autoritarisme impérial intra comme extra muros. Omnipotence du gouvernement auservice de l’oligarchie financière et des réseaux lobbyistes ou maffieux, en particulier françafricains, destruction des solidarités sociales
acquises par les combats populaires et éducationnels, atomisation des individus : telle est la culture néolibérale à la française.
La collusion — pour ne pas dire la fusion et la confus ion — des équipes politiques et des milieux économiques, qui a conduit à cette
pléthore d’affa ires, peut- être inégalée à l’échelle de l’Union européenne et des pays occidentaux, est l’une des causes principa
les du déficit des budgets publics.

Depuis 2007, afin de préserver les privilèges d’une caste protégés par une législation complaisante (dépénalisat ion du droit des affaires, mise en place du bouclier fiscal, privat isation des services publics…), le régime Sarkozy  accumule les at teintes aux lib ertés publiques et aux acquis sociaux favorables à l’intérêt général ou au plus grand nombre. De leur côté, les réseaux françafricains, encore en activité cinquante ans après les indépendances africaines et qui ont organisé à l’occa sion du 14 juillet une parodie de commémoration, sévis sent toujours plus à l’encontre des intérêts vitaux des peuples du Sud. Pour exemple, le Niger qui accueille généreusement AREVA du fait de la richesse de son sous-sol minier, subit une nouvellecrise de famine de même que
le Burkina-Faso, voisin fr ancophone.

Au-delà des individus misen cause pour corruption, c’est toutun système politico-financier qui implos e désormais du fait de
l’acharnement à servir exclusivement les intérêts des plus riches. La société française en crise Par un phénomène assez classique
d’engrenage, se multiplient en contrepoint les phénomènes de violence urbaine dans les banlieues, lieu de relégation sociale : suite
aux émeutes de 2005, ce sont celles de Villiers le Bel en 2007, de Grenoble et de Saint-Aignan en 2010. Parallèlement, la répression est instrumentalisée au moyen de forces de police de plus en plus militarisées: multiplication des interpellations et poursuites, f ichage
généralisé, emploi d’ armes « non létales », stigmatisation inadmissible de la communauté des Rroms et des gens du voyage ainsi que  des communautés immigrées non européennes.

En a rrière-plan, les média s réperc utent les dysfonct ionnements répétés de la vie en collectivité, liés à la casse progressive
des services publics de proximité et à la destruction correspondante du lien social : violences récurrentes dans les établissements scolaires, l’Éducat ion nat ionale étant par ailleurs l’objet d’un dispositif massif de réformes anti-pédagogiques,épidémies de suic ide dans les entreprises et les services publics soumis à une réorganisation mana-gériale concurrentielle impitoyable, psychodrames vécus par une équipe na tiona le de footb all excessivement starisée…

De fait, il existe un lien entre tous ces phénomènes qu’engendre cette gouvernance, provoqués qu’ils sont par la crise morale et  symbolique  du néolibéralisme à la française, qui promeut une société individualiste entièrement vouée au profit immédiat via une compétition généralisée au bénéfice des hyper riches. L’auto-hypnose télévisuelle, médiatique et publicitaire ne vantait-t-elle pas jusqu’à il y a peu un modèle de réussite égoïste pa r l’arg ent fa cile et le suc cès médiat ique, s tar-s ystème dontnotre président ancien ministre de l’Intérieur est le modèle ident ificatoire affiché ?

 

Les forces de résistance

Cependant, dans de nombreuses sphères de la société, la légitimité de tels modes de gouvernance est  de plus en plus contestée, dans un contexte d’accroissement flagrant  des inégalités socio-économiques, des souffrances psychosociales qui s’ensuivent, et de prise de conscience progressive que le monde marche sur la tête, qu’on ne peut continuer comme cela. La paralysie progressive du système national procède de la dynamique selon laquelle « en bas on ne veut plus et en haut on ne peut plus ».

Des contrepouvoirs tels les jou naux en ligne (Médiapart ) jouent un rôle important pour, sur le modèle amér icain, remob iliser l’opinion et conduire à un sarkogate, notamment par la médiat isation de l’affaire Woerth-Bettencourt. La capacité de résistance du
peuple franç ais aux diversions populistes se traduit également par la mise en sourdine momentanée de l’extrême-droite : pour
combien de temps enc ore, en l’absence d’alternative démocratique clairement exprimée et unitaire ? Pour exemple, il serait
inconvenant que l’auteur du projet de loi sur les retraites reste en responsabilité quand pèsent sur lui des soupçons d’illégalité financière aussi graves et que peut instruire la justice. Sa démission s’impose tout autant que la création d’une commission d’enquête parlementaire, qui fasse la lumière sur les agissements des uns et des autres.

Dans un contexte aussi brouillé, un moratoire devra it enfin être arrêté concernant le projet de loisur les retraites.

 

Les territoires : un contre-pouvoir grandissant

Il est b ien sûr possible d’inverser cette orientation mortifère et ir responsab le, qui pourrait conduire à l’effondrement de la
démocratie dans notre pays. Cela nécessite une réflexion approfondie au plan institutionnel qui passe par la réduction des pouvoirs  centraux et la démocratisation de la vie des régions et de leurs prérogat ives, en matière linguist icoculturelle, polit ique, économique…

Le panorama électoral récent montre qu’un contre-pouvoir territorial discret mais pérenne et potentiellement puissant s’est construit depuis 2004 en réaction à la crise de l’État national : « Depuis qu’elle a repris l’Élysée à la gauche, en 1995, la droite a subi comme  autant d’échecs la plupart des élections locales. Ces défaites répétées ne l’ont pas empêchée de conserver le pouvoir, mais elles ont
peu à peu sapé ses assises territoriales, jusqu’aux plus anciennes,oeuvrant lentement à l’effondrement  d’un édifice : entre 1998 et
20 10, la dr oite a per du, en métropole, 744 cantons, 34 départements  et 18 régions.

Lors des municipales de 2001, elle cédait à la gauche deux villes emblématiques,  Paris et Lyon. Certes,elle croyait se consoler en gagnant, grâce à la cohabitation, 20 villes de plus de 30 000 habitants, mais elle en a perdu 26 lors des municipales de 2008 ! Même les élections législatives  de 2007, pourtant situées dans le droit-fil de l’élection de Nicolas Sarkoz y, se sont soldées par la disparition de 53 circonscriptions par rapport à la majorité  sort ant e. Cel a fait presque un millier de positions perdues. Les élections cantonales  de 2011 seront cruciales. Il y a toutes les raisons de penser qu’elles prolongeront le supplice de la droite. Or pour chaque canton perdu, chaque commune, chaque département , chaque région ou circonscription cédée à l’adversaire, c’est un pointd’appui, un réseau, des ressources,  autant de précieux leviers pour l’action publique comme pour la mobilisation des sympathisants et
des électeurs.(…)
La gauche a remporté un nombre suffisamment grand d’élec tions locales pour pouvoir espérer gagner le Sénat en 2011. » (1) Comme en Espagne, ce contrepouvoir territorial const itue une  rés erve de forces vives dans laquelle puiser pour réduire de manière significative, aux côtés du mouvement socia l, l’autocr at ie dans notre pa ys et pour que le peuple redevienne plus pleinement acteur de son histoire. Ce fait s’est confirmé à l’occasion de l’élection régionale de 2010 qui a vu la progression significat ive de RPS au
sein de la mouvance Europe Écologie. Autant de motifs d’espoir dans la tourmente des temps présents.

Martine Boudet

(1) Dominique Reynié, di recteur général de la
Fondat ion pour l’innova tion pol i tique et
pr ofesseur à Sc iences Pol itiques : « La droite
menacée d’un séisme en 2012 », Le Monde, édition
du 2 août 2010
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