Le basculement du Sénat à gauche est une donnée historique. A quels facteurs doit-on cette évolution, la chambre haute étant marquée par l’hégémonie de la droite au cours du demi-siècle qu’a connue la 5e République? Sans doute au rejet par les élus locaux d’une réforme territoriale scélérate, qui s’est ajoutée à la suppression de la taxe professionnelle et au dispositif des lois anti-sociales…Pour le renforcement de ce «contre-pouvoir décentralisé», la transformation du Sénat en une assemblée des régions constituerait  une avancée notable.

 

La crise du système politique français

C’est bien connu, la raison principale de la dégradation de la vie politique  réside dans la perpétuation d’un mode de gouvernance centralisé et autoritaire, cela au service des marchés. Le carambolage des affaires qui secoue la sphère du pouvoir élyséen traduit la décomposition de ce monarchisme républicain. Dans le même temps, la victoire de la gauche à l’élection sénatoriale s’inscrit comme le résultat du combat discret des territoires, pour la construction d’un recours démocratique.  A la différence d’une présidentielle et des primaires socialistes marquées par le choc des personnalités, le peu de pronostics et de médiatisation de cette campagne manifeste une tendance lourde à la séparation  des pouvoirs centraux de ceux des collectivités territoriales.  A l’occasion des élections de 2010, avait déjà été souligné le peu de visibilité des équipes régionales: l’association des régions de France (ARF), qui regroupe les présidents des régions, est inconnue de l’opinion. Combien de métropolitains connaissent par ailleurs l’histoire tourmentée et la riche littérature des DOM-TOM ou le parcours de leurs représentants, Aimé Césaire, Jean-Marie Djibaou, Françoise Vergés, Oscar Témarou, Elie Domota…? Quant aux banlieues dont certaines basculent dans un no man’s land  républicain, devenant des lieux de relégation des plus défavorisés et des mafias locales, se pose également la question d’une meilleure représentation de leurs instances.

 

Le contre-pouvoir exercé par les territoires dans l’UE et en France

Malgré les limites actuelles de la décentralisation et à rebours de l’inertie féodale qui était le fait des provinces sous l’Ancien régime, les collectivités locales -régions, cantons, municipalités- …ont construit un authentique contre-pouvoir à l’égard de la politique menée par l’exécutif. Singulièrement depuis 2004, date du ralliement de la quasi-totalité des régions à la gauche, sous l’influx du sursaut progressiste espagnol qui mit fin à la gestion atlantiste d’Aznar peu auparavant, à l’époque de la guerre en Irak. L’élection à la présidence du Sénat de Jean-Pierre Bel, né à Lavaur (Tarn) et élu ariégeois constitue par ailleurs une victoire symbolique pour l’Occitanie, dont le suffrage est traditionnellement acquis à la gauche.

«Depuis qu’elle a repris l’Elysée à la gauche, en 1995, la droite a subi comme autant d’échecs la plupart des élections locales. Ces défaites répétées ne l’ont pas empêchée de conserver le pouvoir, mais elles ont peu à peu sapé ses assises territoriales, jusqu’aux plus anciennes, œuvrant lentement à l’effondrement d’un édifice : entre 1998 et 2010, la droite a perdu, en métropole, 744 cantons, 34 départements et 18 régions» [1].

Si le pouvoir central est historiquement dominé par les droites en France, les conquêtes démocratiques dans le domaine de la gestion territoriale sont le fait des gauches: loi sur la départementalisation des territoires d’outre-mer à l’initiative du député martiniquais Aimé Césaire, votée en 1946; loi Deferre sur la décentralisation votée en 1982. Le principe de la « diversité » a été adopté suite au «mai 68 des banlieues», les émeutes de 2005 ayant été les plus violentes connues dans le cadre de l’Union européenne au cours des dernières décennies .
Dans de nombreux pays européens et voisins de la France, qu’ils soient fédéraux (Allemagne, Belgique, Suisse, …) ou décentralisés (Espagne, Royaume uni, Italie…), la représentation des régions à l’échelle nationale est un fait d’ores et déjà acquis.  Que ce soit sous la forme d’une deuxième chambre qui cohabite avec la chambre des citoyens (Chambres des Communes ou chambre basse au Royaume uni qui jouxte la chambre des Lords, Bundersrat allemand qui cohabite avec le  Bundestag….) ou par l’intégration des partis régionalistes dans une chambre unique (Cortés espagnols).  De même qu’à l’échelle de l’UE, sous la forme d’organismes interrégionaux à caractère consultatif, le Comité des régions (CdR) ou l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), qui évoluent aux côtés du Parlement européen et de la Commission. Ces institutions promeuvent une coopération interrégionale, favorisée par  le caractère transfrontalier de nombreuses régions européennes.
Autre exemple étranger, celui de pays latino-américains phares, la Bolivie et l’Equateur, dont les concepts de « pluri-nationalité » et de « démocratie inclusive » permettent d’intégrer des composantes jusqu’alors discriminées par les Etats-nations dont les peuples amérindiens et les paysans.

 
Face à la guerre des cultures, promotion de l’interrégionalité

Au-delà de la gestion des affaires politiques, il y a un enjeu culturel. Face à la pression exercée par la culture anglo-américaine, en premier lieu sur les jeunes générations, il est important de renforcer la transmission des patrimoines acquis par l’histoire, pour leur pérennisation. En tout état de cause, du fait des abus du technoscientisme et du technocratisme d’Etat,  le relais est loin d’être assuré. Dans une République qui a aussi trop misé sur la citoyenneté individuelle, la démoralisation des citoyens, qui se traduit par le désengagement ou la perte croissante des liens sociaux, ne pourra être enrayée que par des dynamiques fraternitaires de grande ampleur, qui relient les individus aux collectifs ainsi que les collectifs entre eux. A la défense des acquis des démocraties politique et sociale, doit donc s’ajouter celle des droits émergents de la démocratie culturelle. Pour exemple, les Etats généraux qui ont résulté de la grève générale à l’initiative du Lyannaj guadeloupéen ont mis à l’ordre du jour la question de l’inculturation, stratégie devant pondérer la contestable politique métropolitaine d’assimilation et d’inféodation à la bourgeoisie colonialiste.

 

Pour la création d’une assemblée des régions

La stratégie gagnante réside dans un décentrement salutaire à l’égard des instances conjuguées du pouvoir et de l’argent; cela de manière à rééquilibrer les relations entre capitale et territoires, entre métropole et DOM-TOM, entre mondes rural et urbain, entre individu et collectivité. Comme le demande le POC, suite à la départementalisation des territoires d’outre-mer (1946), à la décentralisation régionale (1982), à l’instauration du principe de diversité pour la réhabilitation des banlieues (2005) et au basculement du Sénat à gauche (2011), serait bienvenue une réforme qui transformerait cette chambre de notables provinciaux en une assemblée des régions. Cette élaboration parachèverait le long processus d’émancipation du peuple-nation à l’égard des dérives autoritaires de l’Etat central, tout en cultivant le principe d’unité républicaine cher au pays [2]. Aux côtés d’un Parlement lui -même démocratisé grâce à la proportionnelle comme Assemblée de citoyens porteurs du débat d’idées sociétal, une assemblée des régions serait représentative des forces vives territoriales ancrées sur plusieurs continents. Une telle institution  permettrait de résister plus efficacement à la déferlante des marchés ainsi qu’à la constitution d’une oligarchie politico-financière au sommet de l’Etat.
Une réforme de cet ordre s’avère in fine l’une des conditions à l’émergence d’un «altermondialisme intérieur», reflet du monde multipolaire en construction et à la réhabilitation, ce faisant, du jeu démocratique dans notre pays.

 

 



[1]       Dominique Pernié, La droite menacée d’un séisme en France  (Le Monde-2010)   http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/08/02/la-droite-menacee-d-un-seisme-en-2012_1394686_3232.html#ens_id=1390910&xtor=RSS-3208

[2]       cette solution serait un bon compromis, quoiqu’a mimina. Il faut rappeler que les lander allemands et les comunidades espagnoles bénéficient de prérogratives bien plus importantes que les régions françaises.

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