Les experts sont partoutet pas seulement dans la série télévisée. On ne peut plus résoudre un problème sans faire appel à eux. Ils sont les garants d’une prise en compte sérieuse de la question posée, ils rassurent les citoyens, ils allègent la responsabilité des politiques. L’expert est celui qui a acquis des connaissances, une expérience sur un sujet donné. Il en fait profiter le politique qui peut alors prendre sa décision. Mais l’expertise est-elle neutre ?

Les deux facettes de l’expert

Dès les années 30, des polytechnic iens c réent des g roupes de réflexion (X crise) où ils essaient d’utiliser leurs connaissances scientifiques pour apporter des réponses pratiques à la crise. Ce sont les débuts de l’expertise. Elle devient indispensable aux décideurs à mesure que les avancées technologiques complexifient le rapport des hommes à leur environnement et densifient le réseau administratif dans lequel ils sont pris.

Un élu ne peut pas tout savoir des différents a spects, scient ifique, juridique, éducatif,… de son domaine d’intervention. Il fait appel à des experts spécialisés qui l’éclaireront dans sa décision.

Mais l’expert est appelé non seulement à fournir des connaissances mais aussi un mode d’utilisation de ces connaissances. Il doit donc fabriquer un système d’évaluation, intégrer des données s ociales et économiques que luimême a sélectionnées. Il apporte un cadre de réflexion pour interpréter s on rapport et faç onne ains i le choix du politique.

L’expert-décideurou l’expert-paravent

Deux cas peuvent alors se présenter. Si le décideur n’a pas d’idée précise sur le sujet expertisé et sur ce qu’il souhaite pour la communauté, l’expert assume le rôle de décideur, bien qu’il n’ait pas d’investiture démocratique, et oriente les choix idéologiques.

Par exemple, une communauté de c ommunes confie à un cabinet d’experts, de préférence parisien ou du moins étranger à la région, le développement local : pas de prise en compte de la langue du pays dans la signalétique, pas de mise en valeur de sa culture dans le choix des animations et du bâti, pas de vision à long terme dans les choix environnementaux.

Autr e exemple à une autre échelle : les polytechniciens des Mines ont imposé l’électricité nucléaire dans les années 70 à des polit iques ignorants des dangers potent iels de cet te énergie et aveuglés par le prestige et la morgue de ces experts scientifiques. Si le décideur a une vision polit ique à long terme et sait ce qu’il s ouhaite pour la communauté, il impose un schéma directeur à l’expertise : on ne trouve que ce que l’on cherche. Il acquiert ainsi les connaissances qui lui manquent, tout en maintenant le cap de son projet politique.

Mais ce projet politique ne correspond pas toujours au bien commun. Il peut avoir pour fin l’enrichissement personnel du décideur, l’accroissement de son pouvoir dans la société ou traduire ses liens avec de grands groupes industriels ou son appartenance à un même corps administratif. L’expert sert alors de paravent aux décisions prises. Les nombr eus es s tr uctures cr éées regroupant des experts soi-disant indépendants sont en fait l’occasion pour les lobbies d’exercer leur influenc e et pour les politiques, d’abriter leurs décisions derrière la «neutralité» scientifique.

Lors de la crise de la grippe A, l’OMS a surestimé le danger parce qu’une ma jor ité de ses experts avaient des liens avec l’industrie pharmaceutique. Cette psychose de pandémie a été relayée en France par la ministre de la Santé de l’époque, R. Bachelot. Elle a mandaté des experts, tous liés aux laboratoires, et signé avec Astra Zaneca, développeur d’un nouveau vaccin contre le virus H1N1, un contrat de 2,3 milliards d’euros. Or, on découvre sur son C.V. qu’elle a travaillé pendant douze ans pour des laboratoires pharmac eut iques dont As tr a Zanec a.

Les ministres de l’Agriculture ont toujours eu des intérêts concordant avec ceux de l’agro-industrie et de la FNSEA (cf «Pesticides: un scandale français») et ont systématiquement pris des décisions catas trophiques pour l’environnement et les abeilles en particulier, en s’abritant derrière l’expertise de l’Afssaps ( 1 ) .Or la plupart des experts de ces officines ont travaillé ou travaillent encore pour l’industrie. Fa ce à ces dév oiements de l’expertise et de la décision politique, deux forces nouvelles sont appa rues : le lanc eur d’a ler te et l’expertise citoyenne.

Le dur statut de lanceur d’alerte

Les experts c onsultés sont souvent contraints d’orienter leurs conclusions vers le résultat souhaité par le donneur d’ordre, ou leur ‘patron’ universitaire, ou le financeur de leur laboratoire.

Mais certains refusent de se compromettre au nom de l’intérêt supérieur de la recherche ou tout simplement de leur conscience. Ils utilisent alors les médias pour faire éclater augrand jour la dangerosité de tel pesticide ou de tel médicament au risque de tout perdre (crédits, carr ière, r econnaissance de leurs pairs). A.Cicolella, ayant signalé publiquement le danger des éthers de glycol, a été licencié de l’INERIS (2) « pour insubordinat ion». G. -E. S ér alini, spécia liste de l’effet c onjugué des pes tic ides et des OGM, a été harcelé, mis à l’écart, exc lu du CNRS et de l’INRA. C. Velot, spécialiste des OGM, a vu ses crédits confisqués et a été sommé de démissionner et menacé d’expulsion ‘manu militari’.

I. Frachon a été a ttaquée en just ice par Servier après la sortie de son livre sur le Médiator, dénigrée par l’Afssaps, ses amis violemment pris à partie. Elle aussi a découvert des connivences en série entre experts et industriels.

Expertise : l’affaire de tous?

Pa r a illeur s, les citoyens , conscients des dérives de l’expertise et de son utilisation par les politiques sont de plus en plus méfiants envers les promoteurs de décisions contraires à l’intérêt des populat ions. Beauc oup d’entre eux s e regroupent dans des associations où les connaissances de chacun sont mises en commun et contribuent à la formation de tous. Ils acquièrent ainsi des compétences suffisantes pour confronter les points de vue des experts et des élus, proposer des solutions différentes et parfois invers er le cours de la décision.

Telle association de lutte contre des décharges à l’ancienne, mobilise ses équipes de recherche sur la toile, son géologue retraité pour l’analyse des sols et des sources, fait venir des conférenciers sur des systèmes a lternatifs d’éliminat ion des déchets, se déplace là où ces systèmes sont utilisés, prend conseil auprès d’autres a ssoc iat ions antidécharges plus pointues sur le plan juridique.Et elle produit un contreprojet basé sur le tri, le recyclage et le compostage qui servira à intervenir auprès des élus et à contrer l’avis favorable des experts.

Cette nouvelle expert ise citoyenne s’appuie d’ailleurs souvent sur les révélations des lanceurs d’alerte, que ce soit dans les domaines de la santé, de l’alimenta t ion ou de l’environne-ment, élargit l’écho de leur cri d’a larme et , ce-faisant , contribue à leur protect ion. Cette expertise profane symbolise aussi un r enouveau de la démocrat ie puisqu’il s’agit d’une réappropriation du savoir — réservé jusque là aux seuls experts diplômés — et des décisions concernant leur avenir, par les citoyens.

L’expertise a envahi les différents lieux de la décision politique, laissant aux experts le monopole de la connaissance des problèmes de société, de la manière de les aborder et des solutions envisagées pour les résoudre.

Que ce soit au niveau de l’État ou au niveau des collectivités locales, le décideur a tendance à s’en remettre à un expert ou un cabinet d’experts issus des grandes écoles (polytechniciens, énarques, normaliens) ou des universités, qui court-cicuitent les institutions, imposent le moule réflexif dans lequel ils ont été formés et empêchent l’apparition de points de vue innovants.

Les élus doivent s’informer par eux-mêmes, avoir une vision claire des orientations souhaitées et utiliser des experts indépendants et venus d’horizons différents afin de pouvoir choisir la solution qui correspond le mieux à leur projet. Les citoyens, à travers leurs associations et avec l’aide des lanceurs d’alerte, sont là pour pousser l’élu dans la bonne direction. L’expertise doit se cantonner dans s on rôle d’aide à la décis ion et ne pas empiéter sur le champ du politique.

Danisa Urroz.

  Afssaps : Age nce f ran çai se de sé cu ri té sani tai re de s pro du it s de santé, devenue Anses après l’affaire du Médiator 2 – Ineris : Institut national de l’environnement industriel et des risques.

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