L’été arrive.

Depuis que je vis àPerpig nan, je l’entends chaque année des cendre des pentes du Canigou, au rythme des c hants joyeux qui accompagnent les Roussillonnais dans leur Trobada. Cette tradition consiste à gravir les pentes de  » la plus belle montagne du monde « , fagots de sarments sur le dos, pour régénérer ensuite la flamme conservée à la Casa Pairal de Perpignan, laquelle allumera les feux de la Saint-Jean dans les villages.

En chemin, les groupes partagent grillades et vins du cru, dans l’esprit de rencontre – le sens du mot trobada – et de convivialité qui nous va tous si bien. Je le vois aussi, l’été, descendre de la même cime enluminée toute une nuit par des lumignons fragiles, petites lumières infinies qui scintillent entre les arbres dont la végétation s’enhardit. Dès l’instant où toutes ces torches se rass emblent dans la plaine, la fête envahit rues, places et parvis.

C’est l’été. Le temps d’un peu d’insouciance pour les corps fatigués, de  » la mer qu’on voit danser « … Le temps des retrouvailles, des festivals qui prolifèrent et des universités qui languissent. On peut aussi réfléchir sous le soleil. Rien ne l’interdit. On n’est pas obligé de bronzer idiot. Au moment où je m’apprête à  » poser l’avion « , je me demande ce qui restera de ce printemps d’effervescence électorale au cours duquel les débats m’ont paru d’une indig enc e as sez déprimante.

Nous avons surtout entendu pa rler de crise, de dette, de chômage, autant de préoccupations bien sûr légitimes, mais qui, à ma connaissance, n’ont pa s suscité l’émergence de projets marqués du sceau renversant de l’innovation. Non, ce printemps n’a pas été révolutionnaire. Tout juste dans la continuité ronronnante d’un calendrier républicain qui favorise – à tort – l’hyper-président ialisat ion d’un régime essoufflé. Je n’ai pas non plus entendu une seule fois parler de culture qui aura été – avec l’écologie, mais pour d’autres raisons – la grande absente de la campagne présidentielle.

Ce silence m’inquiète. Pourquoi ? Parce qu’une société qui prétend se penser en mouvement et qui ne débat pas de son projet culturel, est une société malade. En traitant par-dessus la jambe le volet culturel de leurs projets pour la France, les candidats ont r elég ué la cultur e au rang des  » choses futiles  » face aux  » grands problèmes  » du moment . Ils ont, c onsciemment ou pas, accrédité l’idée que la culture ne peut occuper que le second plan dès lors que des sujets  » plus graves  » doivent nous requérir. Dans la confusion qui est l’une des marques de notre époque, ils l’ont ramenée au rang du divert issement. Or chacun sait que la culture n’est pas un divertissement, même si un certain divertissement en fait partie.

À y regarder de près, ce glissement sémantique, hautement révéla teur des polit iques pub liques actuelles et – je le crains – à venir, n’est pa s sur prenant . Qu’es t la culture devenue ces trente dernières années ? Qu’est-ce qui a triomphé, des soutiens aux structures – la plupart associatives et composées de quasi bénévoles – assurant, sur le terrain et dans l’ombre, un travail de diffusion et de pédagogie, jusque dans les quartiers défavorisés où le lien social passe aussi par l’action culturelle ? Qu’est-ce qui a eu la part belle de cet engagementlà, ou des étalages de confiture que Guy Debord dénonçait déjà en son temps comme une société du spectacle ? La réussite d’une politique culturelle ne devrait pas se mesurer aux seules files d’at tente devant les entrées d’énormes exposit ions dest inées à acc ueillir d’énormes publics…

Madame Filippetti, ministre de la Culture, a du pain sur la planche, parce qu’il y a urgence, en France, à mettre en chant ier une véritable décentralisation culturelle qui n’a c onsisté, pour l’instant , qu’en une pâlichonne décentralisation de façade. Des Occitans ont pensé cette décentralisation. À Montauban, Félix Castan en fut un ardent promoteur. Il disait à juste titre que  » l’on n’est pas le produit d’un sol, mais le produit de l’action qu’on y mène « . Alors, ce militant acharné s’est retroussé les manches et a  » fait  » — la Mòstra du Larzac, les éditions Cocagne, le Centre international de synthèse du baroque, les Assises nationales de la décentralisation culturelle etc. — pour démontrer que la décentralisation cultur elle pouva it devenir une réalité, bien avant que les politiques de tous bords s’emparent de l’idée pour mieux la tuer dans l’oeuf. Félix Castan avait compris – seul et avant tout le monde — que la décentralisation culturelle était la clé susceptible d’ouvrir d’autres portes.

Qu’elle constituait un argument de poids face aux idéologies dominantes depuis la Révolution de 1789, car toutes bâties sur le principe du centralisme culturel. Si bien que l’on peut aujourd’hui penser après lui que, s i l’autonomie culturelle était enfin conquise, d’autres formes d’autonomie pourraient alors devenir possibles. Mais l’air qui circule librement suscite la crainte.

C’est pourquoi les chiens de garde de la République une et indivisible veillent tant à ce que cet te por te-là s e referme sur notre nez. Pour vaincre ces peurs et prendre de la hauteur afin de voir le monde en son entier, les pentes ne sont pas toutes aussi douces à gr avir que celles du Canigou.

Serge Bonnery

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