Plutôt que de donner desréponses au statut de l’immigré et à celui des « droits » que les gouvernements successifs ont avancé pour réduire toute intégration possible et met tre en place des dispositions sécuritaires, prenons la quest ion s ous s on angle politique et n’en faisons pas une question à part, au risque de ne valoriser que l’événement .

C’es t là la méthode des Guéant/Sarkozy. (1) Les quest ions de société s ont toujours sensibles et les crises du capitalisme (aujourd’hui mondialisé, financiarisé et acteur des dérégulations les plus grandes dans l’his toire des ma rchés ) ne font qu’accélérer les « dysfonct ionnements » de cohérences très provisoires qui font, à un moment, « l ’ h i s – toire ». L’immigrat ion s’insc rit comme l’un des effets de ces bouleversements dont nous ne connaissons qu’une infime partie de ce qui va suivre…

Dépasser les clivages « régionaux » qui nous sont imposés

Le cons tat d’une immigration « tiers-mondiste » dans nos microrégions n’est pas nouveau. Depuis des années , les occitanistes, (les Verts, aussi) ont dit que la réponse à la montée du FN – par l’instrumentalisation la plus simpliste de ce thème – devait être locale/régionale et globale. Nous y avons ajouté un autre facteur (c’est aussi le point de départ d’une analyse oc citaniste, et non simplement « tiers-mondiste ») : une immigration nord-européenne renforcée par l’ouverture d’un marché unique européen. Si on ne peut l’oublier, on n’en parle que rarement quand on aborde les stat istiques de l’immigr ation prises en compte par la sociologie : c’est pourtant le produit du « Grand Sud-Ouest » des giscardiens et de la « Floride occitane » des années 70, après la colonisation touristique et financière accélérée de la Provence au XIXe. C’est aussi la prise en compte des personnes nées à l’étranger, de retour dans l’hexagone ( 2 ).

Le « colonia lisme intérieur » de Robert Lafont faisait l’analys e de situat ions globa les. Simple rappel que les démocrates et opposants à la droite ignoraient superbement (except ion faite, un court moment, de la part de Rocard et de la « Nouvelle gauche », juste a vant qu’elle ne rentre dans le giron du PS, pour l’essentiel). On ne sauvera donc ni Var ni Provence si l’on ne fait qu’un simple constat car les raisons sont plus profondes : concentration des richesses et des savoir-faire de la techno science en Occident, exploitation des ressources naturelles du Tiers Monde (rappelez-vous « Le pillage du tiers monde » de Jean Rué, a lias Pierre Jalée, cahiers Maspero, 1 96 6), pour c eux qui étaient déjà at tentifs à ces questions, un contemporain de Dumont. C’est toujours d’actualité, mais le pillag e s ’est acc élér é avec la France-Afrique et les accords néocoloniaux : conséquences environnementales, culturelles, dépossession des souverainetés nationales par les bourgeoisies “régionales” soutenues par la politique française et oc cidentale, paupérisat ion et acculturation au modèle dominant d’exploitation.Et surtout, globalisation.

Aujourd’hui les “révolutions” d’Afrique sont dans le droit fil des conditions de ce type d’exploitation. La France y est toujours présente, économiquement et militairement. Les réseaux Foca rt ont toujours existé et les coups tordus s’y sont maintenus sous tous les gouvernements des 50 dernières années.

Le FN, comme l’extrême droite européenne, sont le produit des politiques française et occidentale. La décolonisation ne s’est pas réellement faite, les liens économiques avec les pays colonisés se sont transformés en contrats inégaux ; les pet its Blancs intégrés dans l’hexa gone n’ont jama is eu les moyens de comprendre leur histoire et les immigrés qui ont fait la richesse du capitalisme des « Trente glorieuses » ont été les boucs expia toires qu’on leur a donnés comme seule explication.

Le tortionnaire Le Pen a saisi ces opportunités de la pauvreté sociale et de la misère politique au fil des crises du système. Son racisme et son antisémitisme ont accompagné le discours classique de l’ultra nationalisme français qui est une tradition forte (Maurras, Barrès, Daudet, des occitans convert is à la course àl’échalote ou/et aux seconds rangs du pouvoir).On sait où cela a conduit.

L’immigration doit être resituée dans ce contexte. Le « développement » du capitalisme dans sa forme actuelle a relativement moins b es oin d’une main d’oeuvre bon marché et soumise à la mobilité. En période de crise sociale (8 millions de personnes laissées sur le bord de la route), elle n’est plus une armée de réserve pour le capitalisme mondialisé qui réinvestit dans d’autres secteurs et « ressources humaines » d’autres lieux. Sa logique est financière, infondée sur des productions à finalité sociale. C’est ce changement qualitatif du « d é v e l o p p e – ment » qui accélère ce vide social (3) qui est son talon d’Achille. (4) C ’ e s t sur ce vide et cet te non-reconversion rapide du travail local/régional que le FN joue.

La solution n’est donc pas dans une fuite en avant qui consisterait à dire que les flux migratoires sont une question qu’il faut prendre au sérieux parce que r isque majeur de déséquilibres s ocio-économiques graves. (5) L e s immigrés sont assujettis à l’impôt, aux cotisations sociales, et les revenus engendrés par leur travail sont largement positifs, les chiffres le p r o u v e n t . (6)

Il faut arrêter de ne pas répondre au mensonge frontiste et de se laisser contaminer par lui.

Un monde social en déshérence

Et la question «démographique » en est le vrai alibi. La Provence et ses statistiques ? La démographie très relat ivement forte de notre r égion tient avant tout aux migrants hexagonaux et européens : cadres, retraités et rentiers héliotropiques.

Le vote FN est un vote surtout urbain qui s’appuie sur la logique métropolisation. La réforme territoriale prend bien en compte cette logique et la renforce. Logique centraliste et concentrationnairedes populations pauvres dans des ghettos. Logique de concentration d’emplois tertiaires priorita ir es depuis la fin des industries implantées au « Sud », puis liquidées par des directives européennes et des choix de reconversion sans grand eff et sur l’emploi (métallurgie, nava le, c harb on depuis la CEE, l’ouverture du Grand mar ché européen…) ; liquidation de l’agriculture familiale et priorité donnée à l’a griculture product iviste au Nord, avec politique de subventions pour les mêmes et distribuées par l’État aux gros producteurs céréalier s et à leur s ac tionnair es. Politique de mitage des territoires par un habitat qui ne permet plus d’organiser la vie sociale, satellisat ion des villages en cités dortoirs, perte du viure ensems…

Autant r appeler que l’occitanisme a fondamentalement dénoncé cette logique des concentrations, sans toujours pouvoir se faire entendre. Nous avons toujours revendiqué des espaces ruraux et urbains plus équilibrés. Or la côte et l’intérieur concentrent des modes de vie qui semblent différents, où la pauvr eté est moins apparente mais b ien r éelle dans nos v illagesdortoirs. On dort dans le Haut Var ou le Centre Var, mais on travaille à Aix, Marseille, Aubagne, Nice qui s ont des pôles d’a ttraction… La misère culturelle est toujours présente dans ces espaces de consommationinégale et de travail majoritairement tertiaire. Avez-vous vu des tags en Aveyron ou en Corrèz e ?

La côte, par son urbanisation conc entra tionnaire et sélect ive (plus de riches et plus de pauvres dans des espaces cloisonnés) est définit ivement c ondamnée aux conflits s ociaux, au mal vivre, à l’insécurité croissante (Gaudin, Estrosi, Falco ( 7 ) font travailler la télésurveillanc e de leurs pet its camar ades , les entrepr ises de sécurité se développent autour des grandes concentrat ions démographiques, des ports de plaisance et gagnent même les communes petites et moyennes). Les déséquilibres micr o r ég ionaux ex pliquent les déserts ruraux et les métropoles baptisées « bassin d’emplois ». C’est de tout cela que se nourrissent l’UMP et le FN. Qui court après l’autre ?

Des solutions locales et globales

Où il nous faut reparler de fédéralisme terr itorial et de coopérations. Quels éléments pourraient nous aider dans la recherche d’alternatives sociales et politiques ? La construction européenne est un élément à prendre en compte. Parce qu’elle est confrontée à cette ques tion de la paupérisation des pays néo-colonisés (surtout dans l’aire franco-britannique) et qu’elle ne bouge pas sur ces questions dutravail et de l’intégrat ion.

Parce que l’Europe politique n’existe pas et que les États sont toujours aux c ommandes et ne f onc tionnent qu’en fonct ion de leurs intérêts égoïstes. Si nous avons des élus à Bruxelles, c’est que nous pensons que la transformation démocratique de l’Europe reste à faire et qu’il y a des propositions en direction de solutions alternatives à construire. Dans l’Europe du marché, seul le marc hé est valeur premièr e (liberté de circulation, des biens et des personnes). Pourtant, des solutions éparses et alternatives naissent très lentement.

La conscience écologique es t liée aux effets de cette dimension étroitement économiste et à ses conséquences. Mais elle ne fait que très rarement le lien avec la réalité des territoires historiques qui la conditionnent aussi et qui sont le cadre d’une écologie des peuples. L’a vanc ée des régions autonomes est un fait majeur dans les États centralisés de type XIXe siècle, considérés comme un about is sement de leur his toire. C’est une première concrétisat ion de l’idée fédéraliste comme réponse aux vieux modèles centralisateurs.

Des expériences de coopérations naissent aux niveaux local et régional. Ce n’est pas en France, mais dans des pays qui sont sortis de dictatures ou dont la tradition fédérale a permis des avancées démocratiques, de gestions plus autocentrées. Mondragon, dans ce cadre étroit du marché, est une forme coopérative de répartition des gains de productivité et de réinvestissements nouv eaux qui fait du Pa ys Basque (avec la Catalogne) la force économique qui contrebalance le pôle madrilène dans l’espace ibérique. On peut toujours émettre des réserves sur la logique de l’acquisition des matières premières et des conséquences écologiques imposées par le système.

C’est sans doute un aspect de la production qui retientl’attention des coopérateurs aujourd’hui. Le secteur coopératif français (près de 2000 SCOPs) est à développer à partir de choix sociaux et écologiques. C’est tout un secteur créateur d’emplois et de relations sociales différentes, un facteur de régulation des économies régionales face à la logique dominante aujourd’hui de financiarisation des marchés. Ce secteur est une réponse forte aux questions que nous nous posons et des solutions à réactiver. Ceci pour dire que la dimension régionale, interrégionale, euro régionale est l’axe structurant de nouvelles politiques économiques, sociales, écolog iques, culturelles , qu’il f aut construire. L

a référence aux autonomies d’Europe – Pays de Galles, Écosse, Catalogne, Pays valencien, Galice, Andalousie, pour ne citer qu’elles – montre bien que nous s ommes dans un autr e monde : celui de l’initiative locale/régionale dans le cadre des États qui ont su (et dû) muter ; loin de la timide décentralisat ion à la Def ferre, remise en question par Sarkozy. Imaginez la Provence, dans son interrégionalité occitane.

Imaginez, plus largement, l’Euro région occitane dans le concert des autonomies d’Europe ( 8 ), et vous aurez plus de latitude, sur la base d’élargiss ement de compétences et de budg ets correspondants, pour repenser la vie sociale, refonder la c itoyenneté et la démocrat ie de proximité. Nous sortons alors de l’Europe interétat ique du grand marché pour fonder l’Europe polit ique et sa démocratie partagée.

Nous pouvons a lors imag iner l’émergence d’une autre Europe, aujourd’hui grippée par les intérêts particuliers des États, et envisager d’autres solutions sociétales. Nous pouvons penser, dans un contexte européen différent, la VIe République ; celle des solutions ca lamiteuses de la droite, cautionnées par une grande partie de la gauche, engluées toutes deux dans la logique centralo-présidentialiste.

L’immigration : vrai ou faux problème ?

Quand on sait regarder comment la machine France fonctionne par rapport à l’Europe, on comprend que la crispation étatiste ne peut répondre que par la contrainte aux problèmes de société : sécuritarisme, fermeture des frontières et repli des États, contingentement et s élect ion s ociale des migr ants, expulsion des Roms, atteinte aux citoyens du Voyage, dérapages racistes répétés des ministres, palinodies sur le voile et la loi sur la laïcité, inappliquée par la majorité, rites d’exorcisme (nationalité, ident ité, républicanisme à toutes les sauces, culturalisme populiste en en direct ion de l’a rmée de la précarité, pérennité du présidentialisme gaulliste et parlementarisme en panne, renforcement du centralisme et de l’a-démocratie).

Les mouvements de contestat ions dans les pa ys ar abes , en Afrique, le néocolonialisme de fréquentation qui a étroitement lié c ette bourgeoise français e aux cercles financiers et aux bourgeoisies nationales qui ont failli (du fils J -C Mitter rand à Alliot-Mar ie), reposent les questions restées sans r éponse: Comment refonder l’éc hange en échang es équilib rés, sans contreparties inégales ? Comment rendre compte d’un développement ma îtrisé et soutenable, fondé sur des savoir-faire et des cultures autocentrés ? Comment aider à une formation technique (et à des échanges de formation) sans renier les pratiques et les usages liés à une vie de proximité dans les campagnes et dans les villes ? Le Bloc Afrique reste à faire. Lespeuples qui se révoltent donnent déjà des réponses dans la difficulté la plus grande. Et l’Occident essaie de ne pas perdre la main… On est au moins certain d’une chose : l’alibi islamiste, que brandit la droite la plus inintelligente qui soit, ne peut exister que lorsque les peuples ne prennent pas eux-mêmes en mains leur libération.

Ces ques t ions sont déjà une réponse sur le fond à l’immigration: en fixant les populations chez elles et en leur permet tant de trouver des solutions locales et interrégionales dans une perspective géopolitique différente, tournée vers le Bloc africain et sans dépendance.Ce qui n’exclut pas les échanges avec l’Europe et l’Occident en général. Et surtout, ce qui doit nous inviter à r epenser l’économie en termes d’échanges entre les Afriques, la Méditerranée et les rééquilibrages des richesses et des économies au Sud. La « Quest ion Méridionale » , que soulève ce numéro spécial, nous invite à renforcer nos analyses et nos participations actives en direction d’une autre Europe que celle que nous connaissons.

La fin de la domination d’une Europe du Nord sur une Europe du Sud – c et te réa lité économique et polit ique actuelle, lourde de conséquences sociales mais aussi de négation des nationalités – en est aussi une des conditions es sent ielles qui nous permet tra de prendre en compte, dans la construction d’un destin occitan, les synergies méditerranéennes et africaines.

Gérard Tautil

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