J’ai découvert cet été, un petit livre « le jardin perdu » , écrit en 1912  par un anglais d’origine islandaise- JORN DE PRECY (1837-1916). Jardinier-philosophe, visionnaire, écolo avant l’heure, JORN pressentait que l’industrialisation, l’urbanisation, les technologies nouvelles du capitalisme toujours avide de progrés,  le tourisme à grande échelle, deviendraient de plus en plus dévoreurs d’espaces verts et qui nous entraineraient loin de la nature et loin du Beau. Il déplore les immeubles noirs de fumées, les usines repoussantes, les villages et les campagnes défigurés par une agriculture mécanisée, dépourvue d’âme.

Il prévoyait que le matérialisme ne cesserait sa course effrénée, et ne laisserait aucune place au monde naturel. Il était attristé de voir la transformation des « lieux anciens véritables » en monuments restaurés pour touristes affamés de dépaysements. « les vieux châteaux, les cathédrales gothiques, tours, chapelles habités depuis des siècles par le silence, deviennent des coquilles vides qui se remplissent des exclamations extasiées de visiteurs armés de leurs guides de voyage ».

Pour assouvir le besoin de nature, d’horribles  plates-bandes  fleuries ornent les villes et les parcs nationaux sont assaillis de touristes jouant pendant quelques heures aux « sauvageons ».

Comme les grands penseurs de l’antiquité, il essayait d’incarner une vision du monde, un idéal de vie. Il ne pensait pas la philosophie, il la vivait.

Un lieu, on doit l’habiter, non en conquérant, mais en invité, comme le faisaient les peuples anciens , qui, tout guerriers qu’ils étaient, savaient faire preuve d’humilité face à la nature. Les grecs et les romains aménageaient des lieux sauvages, au coeur des  villes, là où la nature y était laissée en liberté pour que l’homme se souvienne de son origine.

Convaincu que les jardins résisteront toujours aux ravages de la modernité, Jorn de Précy a construit le sien en Angleterre dans le Oxfordshire à Greystone  .Ce jardin où il a passé une grande partie de sa vie, il l’a voulu sauvage, laissant arbres  plantes, graminées pousser librement.  « Jardiniers,  soyez paresseux »  disait-il « .

Ce jardin était ouvert et Jorn montrait volontiers les recoins les plus cachés du parc, les endroits les plus sauvages de la forêt où il fallait se frayer un chemin parmi les lianes des clématites, les fleurs et les ronciers. Claude Monet qui l’avait visité en 1906 avait écrit: « le jardin de Mr de Précy offre des tableaux d’un charme intense et indéfinissable qui vont droit au  coeur….. »

Nous ne pouvons qu’être gagnés  par le pessimisme de ces défenseurs de la nature quand nous lisons l’article paru dans le  magazine  Télérama  n° 3268  que l’artificialisation des sols s’accélère. Elle représente l’équivalent de la surface d’un département non plus tous les dix ans, mais tous les sept ans. Cette surface artificialisée est occupée non pas par les pavillons mais par toutes les infrastructures (routes, ronds-points, zones commerciales). Les seuls parkings constituent 10% de cette surface. Nous apprenons aussi qu’entre 1992 et 2004 la superficie dévolue aux centres commerciaux a augmenté de 44% alors que la consommation  n’a progressé que de 14%.

Pour protéger la nature, la forme de rébellion qu’a choisie  Jorn , et qu’il nous conseille, est que chacun d’entre nous laisse de l’espace aux vrais jardins, c’est à dire des lieux insoumis, hors normes, aux valeurs simples.

Il n’appelle pas à changer le monde mais tout simplement à faire une petite place à la vie, car la vie est  tout ce qui  échappe au pouvoir de la société hautement civilisée, ce qu’elle ne sait pas pour le moment transformer en marchandise.

Selon lui, poser la question de l’avenir du jardin, c’est poser la question de l’avenir de l’humanité, tant le jardin et l’homme sont intimement liés…..

ELIANE ROBUSKI MARTIN

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