Au mois de juin 1940, face au » drame de la patrie percée « , un poète de langue française se lève avec l’ambition de devenir la voix de la France et de dresser, par le rétablissement de la rime dans ses textes en vers, la résistance poétique face à l’invasion nazie.

C’est lors d’un séjour à Carcassonne où, après avoir quitté Paris occupée, il trouve refuge auprès de Joë Bousquet que Louis Aragon conçoit ce dessein. En juin 1941, pour la revue F o n t a i n e, il le théorise dans un texte int itulé La leçon de Ribérac.

La leçon de Ribérac

À Rabairac, en Dordogne, est né vers 1 150 le troub adour occitan Arnaut Daniel que Dante, dans le Purgatoire de sa Divine Comédie, salue – en langue provençale ! – comme prince des poètes,  » père  » du dolce stil nuove en tant qu’inventeur du lyrisme poétique ainsi qu’on le comprend quand il lui fait dire :  » Ieu sui Arnaut, que plor et vau c antan  » (chant XXVI). Le pleur, le chant, le lyrisme…

Louis Aragon prend acte de cette reconnaissance mais refuse aussitôt à la langue d’Oc le droit de jouer un quelconque rôle dans la résistance poétique qu’il inaugure de son côté :  » L’heure me paraît mal choisie, écrit-il dans La leçon de Ribérac, pour une dissociation qui confirme une frontière intérieure, toute artificielle.

C’est au XIIe siècle qu’apparaît pour la première fois le sens français, le patriotisme des mots « . Plutôt Chrétien de Troyes qu’Arnaut Daniel. Plutôt la langue française, unique et seule dans le combat qui s’engage, que l’Occitan élevé par Dante au rang de langue universelle. Dont acte. Aragon se pensa it comme poète nat ional.

C’était son droit. Le Génie d’Oc Sauf qu’au même moment , d’autres poètes, ra ss emb lés à Carcassonne autour de Joë Bousquet , concevaient pour la revue marseillaise Les Cahiers du Sud, un numéro spécial consacré au Génie d’Oc et contre lequel Aragon s’est élevé :  » Une revue n’annonçait- elle pas récemment un numéro (…) dont le sommaire semble vouloir donner le monopole au génie d’Oc d’un esprit qui naquit, certes, e n Provence, mais ne gr andit qu’autant qu’il devint celui de la France entière « .

Dans la rhétorique  » aragonienne  » , le  » certes  » e s t lourd de sens. Si je raconte cette anecdote, c’est jus tement qu’elle me paraît être b ien plus qu’anecdotique. Cette charge de Louis Aragon contre la langue d’Oc, malgré tout contraint de reconnaître le rôle historique des Troubadours dans la naissance du lyrisme poétique dont la langue française héritera, est emblématique du sort que notre République r és erve enc or e aujourd’hui aux langues dites régionales.

Au nom de l’unité nationale – face à quelle menace aujourd’hui, s inon celle de l’Ang liche des spéculateurs et des financiers ? – on s’arc-boute sur de vieilles lunes jacobines totalement dépassées. La langue frança is e n’a jamais été autant menacée dans le monde. Et c e n’es t pa s l’Occitan, soyons sérieux, qui lui porte atteinte !

Par c ontr e, une langue français e solidement attachée à ses racines, toutes ses racines, ne serait-elle pas plus forte et ne saurait-elle pas mieux se déf endre fac e aux a gres sions continuelles des verbiages  » SMSesques  » ? Une pléiade de languesContre la propos it ion d’Aragon d’une langue nationale unique pour résister à l’envahisseur, la proposition d’une pléiade de langues pour ouvrir grandes les fenêtres de la diversité culturelle et que souffle le vent de la liberté tant notre besoin est immense de respirer.

Aujourd’hui, c’est dans ce domaine-là – la diversité culturelle, l’enrichissement par l’échange et la rencontre, la mixité contre l’assimilation – qu’il faut résister. Contre la L e ç o n de Ribérac, une autre leçon : celle que les Occitans furent 30 000 à écrire à Toulouse le 31 mars !

Serge Bonnery

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