Modestement, il faut d’abord sedire : combien sommes-nous à nous poser ce genre de question ?

Ensuite, reconnaître que nous n’avons pas de solution. La solution serait de la chercher ensemble. J’ajouterai enfin : je ne crois pas qu’il n’y ait qu’une seule réponse à la question posée. Il est important que demeurent des engagements pluriels.

La diversité de nos engagements est notre force mais l’insuffisance d’échanges sur le fond est notre faiblesse. Pire ! Cette insuffisance de critiques constructives et de solidarités actives… menace la transmission et laisse à penser que  » l’engagement occitaniste  » se limite à la défense de la langue alors que le champ d’activités réelles et potentielles va bien au delà et en deçà.

Langues et langage

1 – Bien sûr, la langue est l’épicentre de ce phénomène. Aujourd’hui encor e, c’est pour  » un servic e public de la langue  » que nous manifestons. Cependant il serait utile de creuser ce concept de langue. Depuis une douza ine d’années, Claude Sicre nous invite à le faire en mettant à contribution le ling uiste Henri Mesc honnic qui appelait à  » penser la langue « .  » Il vaudr ait mi eux parler de langues-cultures que de langues, pour mieux concevoir et préserver les valeurs qui se sont inventées en elles et dont elles sont porteuses – valeurs anthropologiques, artistiques, éthiques et politiques .  » (art. 11)  » Ces valeurs ne dépendent pas des langues comme langues. Mais l’histoire culturelle qui les y associe inévitablement ne permet pas à elleseule de reconnaître que ce sont les oeuvres et les luttes, parfois d’un très petit nombre d’individus contre leur propre collec tivité, qui font qu’on attribue à la langue ce qui s’ est fait en elle et parfois aussi, poétiqu-ment, contre elle. Dans le rejet des contemporains.  » (art. 20)  » …la défense des langues n’est pas dans la pensée de la langue, mais dans le lien qui en fait encore l’utopie de la pensée du langage, le lien entre langage, art, éthique et politique comme théorie d’ensemble…  » (art. 30)*

2 – À l’heure où l’impératif de sauver la langue est devenu exclusif, l’éclairage de Meschonnic a le mérite de rappeler les méandres par lesquels se joue sa survie. Il nous interroge sur notre présence dans ces méandres et le lien que nous établissons entre eux et la langue en question.

Quelques exemples :

Que vaudrait la langue que nous transmettons sans se poser la question sur la façon dont nous la transmettons pédagogiquement , dont nous la retraitons poétiquement, dont nous la rattachons au patrimoine culturel immatériel qui l’a enfantée, et également sur les raisons psychologiques qui font que nous la retrouvons (ou que nous l’accueillons) en nous, que nous l’ouvrons ou la fermons aux autres langues, que nous l’engageons ou pas dans le chantier du local et de l’universel ?

 » Pluralité culturelle et unité politique « 

1 –  » Il y a une autre voie : la meilleure. Pour la connaître, il suffit d’écouter le peuple français : il veut l ‘unit é poli tique et l a pluralité culturelle. « ** La formule de Claude Sicre est schématique mais elle résume ce que nous s ommes obligés de constater :  » la République française une et indivisible  » est une réalité complexe, enracinée dans l’Histoire de la Nation. Nous la rencontrons partout, dans la grandeur française (les droits de l’Homme) comme dans le  » mal français  » (les obstacles constitut ionnels, l’ostracisme des institutions…) mais aussi dans l’opinion naïve de ceux qui ne verront jamais dans nos oeuvres que des patoiseries au mieux nostalgiques, au pire handicapantes pour l’accès des jeunes à la langue de l’Emploi.

2 – Ce blocage est considérab le. Claude Sicre a raison de revenir sur la nécessité de convaincre la raison républicaine plutôt que de transgress er un tabou beaucoup plus pa thologique que ja cobin. Cependant, la brillante leçon d’Henri Meschonnic et de Claude Sicre doit-elle nous reconduire dans le giron de l’État -nation ou nous aider à tenir compte de sa réalité his tor ique sans nous dessaisir d’une autre réalité : l’incapacité des États-nations à assumer leurs responsabilités nationales à l’heure où les banques et les multi-nationales détiennent le destin de l’humanité et de la planète ?

3 – La question vaut le détour, d’autant que nous assistons à une surenc hèr e de  » polit ique  » , de  » citoyenneté « , de  » patriotisme « … sans que les surenchérisseurs se donnent la peine d’aller chercher à l’origine antique de ces mots des réalités autrement plus cyniques que les coups de trompette qu’à présent ils suscitent. Aujourd’hui, les sciences humaines sont en mesure de démontr er que la voie des  » Cités-nat ions  » ou des  » États – nations  » n’étaient pas un  » choix  » inéluctable et que 5 millénaires de bilan n’encouragent pas à leur prépotence.

4 – En leur nom, la raison d’État etla raison économique ont toujours éclips é les droits sociaux et les droits culturels, jusqu’au point de faire oublier aux mouvements sociaux et culturels actuels leurs premiers  » théoriciens « . Ces théoric iens n’a ppelaient -ils pas au  » nécessaire dépérissement du pouvoir politique  » pour que puissent progresser la démocratie du travail, la paix des peuples, la parité des sexes, l’égalité des langues et des cultures.. ? Cet te ankylos e de la pens ée sociale corporalise le syndicalisme à un point tel que les syndicats d’artistes français sont quasiment dans l’impossibilité intellectuelle d’intégrer la pluralité culturelle nat ionale dans leur ordinateur socioprofessionnel. Cette ankylose de la pensée  » politique  » électoralise à tel point les partis qu’ils sont dans l’impossibilité intellectuelle d’inventer d’autres solut ions que la voie  » privée  » (capitaliste) ou la voie  » publique  » (état-nationale).

Cet te ankylose de la pens ée  » ethno-culturelle  » mimétise à tel point les défenseurs des langues qu’ils sont dans l’impossibilité pratique de sortir des critères commerciaux ou inst itutionnels ou égocentrés : compétition, clientélisme, chauvinisme et massification.

Dépérissement du politique et réaffirmation du civilisationnel

Ma grande réserve sur  » le politique  » conteste le monopole qu’il a conquis durant 5000 ans d’Histoire, les dépendances sclérosantes qu’il a engendrées dans tous les domaines (y compris la gouvernance du  » moi  » psychologique et du  » nous  » culturel), puis son impuissance de fait. Depuis ses origines, le politique a fait de l’argent  » le nerf de la guerre  » mais à présent ni l’argent, 20 ni la guerre, ni la politique de l’argent et de la guerre n’ont le droit de demeurer les maîtres de l’Espace, du Temps et des Personnes.

Il y a entre l’ego, la langue et le pouvoir quelque chose que les meilleurs de nos révolutionnaires n’ont pas imaginé et qui pèse dangereusement sur l’avenir des sociétés. L’  » Oc citanie  » (espace de civilisation sans État) a été prise dans les remous du cycle infernal : progrès-crise-violences… Les quelques fois qu’elle a pu sortir la tête de l’eau (hormis l’apogée médiévale d’avant le Croisade), ce le fut sous l’impulsion de mouvements civilisat ionnels inter nat ionaux, tel le mouvement renaissantiste des XVI et XVIIèmes siècles (en consonance avec les événements nés de l’Humanisme, de la Réforme et de la Contre-réforme), tel le renouveau félibréen (en parallèle à l’éveil des nationalités européennes et de la première Révolution industrielle), tel l’occitanisme (en écho à la décolonisation du Tiers Monde et aux mouvements libertaires occidentaux).

En dehor s de ces périodes de trans gression,  » l’Occitanie  » est vouée à la Maintenance… et au bon vouloir des notables provinciaux, monarchistes ou républicains. Hors de ces périodes transgress ives,  » elle  » se replie sur elle-même, les uns sur la langue, les autres dans l’allégeance provinciale, les uns et les autres oubliant même le débat ouvert par les aînés les plus proches.. . En ce qui nous concerne : l’héritage des Lafont et Ca stan. Plus d’autonomie inst itutionnelle pour libérer le verbe occitan ? Plus de langage occitan pour libérer l’Occitanie profonde ? Plus de langue occitane pour la rendre à un peuple qui en a presque fait le deuil ?…

Appliquer la pluralité

On ne peut revendiquer la pluralité sans l’appliquer d’abord à nous-mêmes. Nul doute que toutes les positions soient défendables et que la diversité des positions soit, comme le disait Charles Galtier, notre force principale. Cinq conditions à cela :

– Assez de tolérance pour pouvoir se côtoyer

– Assez de convivialité pour tendre l’oreille et la main à l’autre

– As sez de cons cience pour s e donner les moyens de recevoir les héritages, en discuter, les enrichir et les transmettre

– Assez d’enthous iasme (au sens étymologique) pour que la langue pense, la pensée parle et la parole agisse

– Assez de science pour essayer de comprendre pourquoi nous sommes passés de  » Qual ten la lenga, ten la clau, de sas cadenas se desliura  » à  » Fe sens òbras, mòrta es « , puis au constat que ni la langue, ni les oeuvres ont suffi pour nous sortir du  » Malpàs « .

Inventer une gouvernance

L’essentiel est la “ gouvernance “ qu’il faut inventer pour sauver la planète et l’humanité des dangers qui de plus en plus les menacent. Pers onne n’échappera à cette urgence. Deux voies sont en train de se dessiner :

– la voie de ceux qui considèrent que l’Homme doit survivre à ses propres nuisances en se dotant des prothèses qui l’adapteront au pire (la voie de  » l’homo-GM « )

– la voie de ceux qui considèrent que l’humanité doit vivre en se remettant en cause au regard des lois qui concourent à la vie (l’homo- 3 fois sapiens).

– La première voie n’aura besoin que d’une seule langue-et-civilisation pour bel et bien apprendre les nouveaux modes de consommation,de sécurité et de technicité.

– La seconde voie aura besoin de l’expérience de toutes les langues et de toutes les civilisations pour faire entrer le paramètre culturel dans l’équat ion qui raisonnera Nature, Société et Progrès.

 » Maintenant, faut-il poser la question occitane autrement ? « 

Le pir e s er ait d’ignorer la quest ion. Le mieux serait d’y répondre ensemble par l’expérience et la diversité de nos pratiques, lesquelles font langage. Est-il le plus profitable à notre langue compte tenu de nos moyens ? Une lang ue ne s e révèle pas qu’au quotidien de ses échanges. Penchée sur son passé, elle apprend qu’elle n’a pa s toujours existé. Réduite à son seul symbole, elle énonce des valeurs, des rêves et des torpeurs. Investie dans la pensée, elle se sème dans l’avenir… Moissonnera- t-elle pour son propre dictionnaire ? Une langue qui est dans le génie du langage ne craint pas la mort.

Elle sait qu’elle renaîtra par celles et ceux qui n’ont peut -être pas appris à la parler mais savent en lire les signes, les enjeux, les plaisirs et les corvées.

Claude Alranq

*  » Propos ition pour une Dé claration
sur les Devoirs envers les Langues et le
Langage  » d’Henri Meschonnic
**  » Proposition de généralisation à tous
l es Français d’une éducation à toutes
l es langues indigènes de France  » d e
Claude Sicre
*** Cf la déclaration de l’Unesco (2003)

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