« Hac audita pars Aquitaniae sese Crasso dedidit obsidesque ultro misit ; quo in numero fuerunt […] Elusates  »

Jules César

Guerre des Gaules, Livre III

 

 

Début novembre 2011 était rendue publique la découverte à L’Isle-Jourdain (Gers) d’un énorme trésor composé de milliers de pièces de monnaies en bronze, contenues dans trois amphores romaines et datées de la fin du IIIe siècle. Le monde romain tardif et ses provinces connaissaient à cette époque une crise et une dévaluation monétaire importantes. Ce trésor appartenait peut-être à un riche propriétaire terrien d’Aquitaine qui aurait voulu cacher ses économies par peur des bagaudes paysannes et des incursions barbares, en un siècle de grande instabilité politique : 70 empereurs dont 25 usurpateurs dans un contexte d’anarchie militaire générateur de violences en tout genre.

 

Cette découverte en rappelle une autre de 1985, dans la capitale romaine de l’Aquitaine III ou Novempopulanie : Eauze est aujourd’hui un paisible village du Gers célèbre pour son Armagnac … et son trésor romain !

Jules César cite les Elusates parmi les peuples qui se soumirent à son lieutenant Crassus après la défaite des Sotiates devant les armées romaines le 10 septembre 56 avant J-C. La nation aquitane qui selon César « s’étend de la Garonne aux Pyrénées et à la partie de l’Océan qui baigne l’Espagne » et dont « les peuples se différencient des Celtes par leur langue, leurs coutumes, leurs lois », cette nation donc très originale va vivre dorénavant à l’heure romaine.

Toutefois malgré la tentative d’Auguste de les dissoudre dans l’ensemble celtique au 1er siècle, les Aquitains ne cesseront de se faire entendre à Rome, jusqu’à ce qu’un empereur reconnaisse leur particularisme à la fin du IIIe siècle et rétablisse l’autonomie de l’Aquitaine sous le nom de Novempopulanie : « pays des neuf peuples » divisés en neuf cités, dont on peut lire la liste sur la fameuse inscription du Pays Basque à l’église d’Hasparren. En tête, on reconnaîtra la cité des Elusates avec Eauze pour capitale qui devient la métropole de toute la Novempopulanie.

Quand Jules César raconte comment et pourquoi il décida d’envoyer en 56 avant J-C les légions de Crassus écraser les Aquitains, il écrivit ce commentaire oh ! combien réaliste et toujours actuel : « Tous les hommes ont naturellement au cœur l’amour de la liberté et la haine de la servitude » …

 

Une découverte fabuleuse

 

Ce 18 octobre 1985 à Eauze, au sud du plateau de Cieutat, les pelles mécaniques creusent depuis deux mois aux environs de la gare pour implanter une zone industrielle.

« Cieutat » vient de l’occitan « ciutat », la cité antique et/ou la ville, lui-même issu du latin « civitas ». Et l’on pense aussitôt bien sûr à la capitale de la Novempopulanie. Or voici qu’une fosse circulaire apparaît sous l’action d’une pelle.

A l’intérieur , une cassette de bijoux féminins : des bracelets en or, des colliers, des bagues, des pendentifs monétaires, des intailles, des camées, cinq paires de boucles d’oreilles… la plupart ornés de pierres précieuses et de perles. Trois lingots en argent voisinent avec des cuillères de même métal, des couteaux à manches d’ivoire, l’un représentant Bacchus et l’autre un mufle de lion.

Enfin sur le fond de la fosse, plusieurs sacs contenaient 28000 monnaies en argent et en cuivre argenté, quelques unes en or, le tout d’un poids de 120 kg .

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Eléments du trésor d’Eauze

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un couple surnommé « Libo »

 

Ce trésor d’Eauze nous informe sur la circulation monétaire de l’Antiquité, sur la vie, les goûts et les mœurs des riches Aquitains de cette époque. Ces monnaies proviennent des ateliers monétaires de Cologne en Germanie, de Rome et de Milan en Italie, de Kostolac en Yougoslavie et d’Antioche en Syrie : ce sont les villes résidentielles de l’empereur et de son armée.

Monnaies de bon poids, bijoux en or et objets en argent ont peut-être été accumulés à des fins spéculatives : nous sommes en effet à la veille d’une grande crise économique de l’empire romain et d’une forte dévaluation monétaire.

Quoi qu’il en soit, l’importance et la qualité de ce trésor font dire aux archéologues qu’il appartenait à un personnage très important au service de l’empereur. Sur les cuillers en argent est gravé le surnom d’un couple d’Elusates : « LIBO » …

La polychromie et les formes géométriques des bijoux permettent de dater le trésor d’Eauze du IIIe siècle après J-C. D’autre part, les monnaies les plus récentes sont à l’effigie de l’empereur romain Gallien et de l’usurpateur Postume : on en déduit donc que le trésor fut enfoui au plus tôt en 261.

 

Un siècle d’anarchie militaire

 

Or c’est une époque qui se caractérise par une totale anarchie militaire. Portés au pouvoir par leurs armées, vingt-deux empereurs vont défiler à la tête de l’empire romain en 50 ans de 235 à 285 !

Durant toute cette période, les frontières de l’empire sont menacées par des tentatives d’incursions des Goths, des Francs, des Alamans. A l’intérieur, l’on assiste à de graves troubles à la fois politiques, sociaux et religieux. En 250, l’empereur Decius promulgue un Edit qui relance les persécutions contre le Christianisme en décimant le clergé.

A l’ouest des Alpes, Postumus fonde en 260 un empire qui durera quatorze ans –le futur territoire occitan est donc concerné-, auquel se rallient la Bretagne et l’Ibérie. Cette année-là, on comptera cinq empereurs légaux… ou illégaux . On peut penser que l’enfouissement du trésor d’Eauze est lié à la guerre civile qui débute en 274 entre le dernier empereur « usurpateur » Tetricus et l’empereur « légitime » de Rome Aurélien.

 

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Aurélien

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Tetricus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien d’autres trésors sont d’ailleurs cachés à cette époque dans nos régions, tel celui de Lectoure découvert au quartier de Pradouilier dans la ville basse. Les propriétaires, massacrés ou fugitifs, ne sont jamais revenus récupérer leurs trésors. On en a retrouvé plusieurs sur la côte atlantique, de la Gironde à l’Adour.

A Toulouse même, un trésor de 497 antoniniani est enfoui en l’an 282 rue Riquet. Un autre d’environ 50000 pièces, retrouvé dans le pays de Foix fut daté de 264-268. Un autre encore à Verniolles toujours dans la vallée de l’Ariège fut caché entre 270 et 274. Trois autres furent découverts à Saint-Cizy près de Cazères en bordure de la voie romaine de Tolosa à Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges). De même celui de « Feuillerat » à Martres-Tolosane.

Une réforme administrative de l’empire

 

Dioclétien règnera de 284 à 305. Il réformera l’administration provinciale de l’empire en créant cent provinces réunies en douze diocèses. Dans ce contexte naît la Novempopulanie avec Eauze pour capitale. Elusa est alors sur la route de la future Gascogne, qui relie Tolosa à Burdigala. C’est une artère maîtresse qui draine le mouvement des personnes et des biens de Narbonne à l’océan par Toulouse, Auch, Eauze, Bazas et Bordeaux.

 

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Le diocèse de Vienne regroupe sept provinces dont la Novempopulanie avec Eauze pour capitale.

 

En 286 Dioclétien s’associe avec Maximien pour gouverner l’empire : le premier en Orient, le second en Occident. De plus, chacun d’eux –appelés Auguste- adopte un « César » avec droit de succession : c’est l’institution de la tétrarchie, ou gouvernement à quatre. Si Rome reste encore la capitale officielle de l’empire, on compte alors quatre résidences impériales : deux en occident, deux en orient.

La tétrarchie de Dioclétien

 

Deux

Auguste,

Empereurs

«titulaires»

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Maximien

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Dioclétien

Deux

César,

Empereurs

«suppléants»

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Constance Chlore

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Galère

 

Dioclétien a marqué son règne sur le plan religieux par des persécutions généralisées contre les Chrétiens. Il faut attendre 313 pour que l’empereur Constantin y mette fin par l’Edit de Milan qui élève d’ailleurs le christianisme au rang de religion d’Etat.

Dès 318 l’on assiste aux débuts d’une controverse qui durera plusieurs siècles : l’arianisme, « hérésie » chrétienne qui sera condamnée au concile de Nicée. La future Occitanie en supportera les conséquences. N’oublions pas que les Goths du Ve siècle étaient chrétiens ariens quand ils feront de Toulouse leur capitale et qu’ils le paieront très cher contre Clovis au siècle suivant.

L’arianisme et plus tard le catharisme seront en effet des prétextes à l’invasion des territoires du sud de la Loire par les Francs de Clovis au VIe siècle et par les Francs capétiens au XIIIe siècle.

 

Georges LABOUYSSE

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