Mon g rand-pèr e qui, en des temps d’après guerre, ava it fréquenté des gens bien — je veux dire des types encravatés qui buvaientdu Champagne et ne conduisaient jamais leur voiture – rappelait souvent cet adage recueilli lors d’un dîner en ville : » Mon cher, prenez donc de l’argent aux pauvres, ils
n’en ont pas beaucoup, mais ils sont plus nombreux « . Il était d’un banquier.
Avec sa terre chevillée au corps et son rêve mutualiste, mon grand-père n’a jamais fait son deuil de ce principe sans morale. Et il conserva toute sa vie une opinion bien a rrêtée sur les des seins obscurs des financiers. Comme Pascal qui osa un jour un pari sur le séjour des morts dans l’empire des dieux, j’en fais un à mon tour : je joue quelques bonnes bouteilles de Minervois que nous allons entendre le mot crise, mitonné à toutes les sauces de la campagne présidentielle.
Crise pa r-ci : celle par qui le nombre de nos chômeurs augmente dangereusement. Plus de 30 000 d’un coup, fin novembre 2011, au pied du sapin, ça fait un choc. Crise par-là : celle qui a poussé les Restos du Coeur à réclamer, en décembre, toujours au pied du sapin, 5 millions d’euros supplémentaires pour faire face à la demande croissante de familles dans le besoin. Crise patati : ce doit être à cause d’elle par di que, s elon une étude de l’association des familles rurales publiée début janvier, le panier de la ménagère a encore augmenté de 4 et quelque pour cent en 2 011.
Crise patata : sûrement elle, encore, qui nous enfonce aveuglément chaque jour dav antage dans le mensonge et le crime nucléaires, parce qu’on ne peut soi-disant pas faire autrement car ça coûterait trop cher. La crise, je la vois pointer le bout de son nez comme un alibi en béton pour justifier ici les promesses d’un quinquennat non tenues, là les engag ements que l’on ne pourra pas contracter, ou alors du bout des lèvres. Il ne faudrait pourtant pas que les candidats se retrouvent piégés par leurs propres discours, dans la position de guignols tournant en rond sur le manège désenchanté de la politique : cela ne pourrait donner que plus d’ailes aux extrêmes qui volent b as. Et il ne faudrait pas qu’ils soient tentés, à la moindre proposition pour une véritable alternative, un changement de société, de sauter à pieds joints sur le premier promontoire venu en criant » chat perché ! « . Trop facile.
La crise, que l’on annonce encore plus dure cette année, n’est pourtant pas nouvelle. Elle couvait sous la cendre du capitalisme triomphant, lequel ne laisse plus derrière lui que traces de poudre de perlimpinpin.Mais ce qui est perdu ne l’est pas pour tout le monde. Les profits n’ont cessé d’augmenter vertigineus ement ces dernières années, entraînant par contre coupla propagation d’une misère de plus en plus noire, telle une nouvelle peste, sans que personne ne lève le petit doigt pour mettre un frein à ce processus dévastateur.
La civilisation occitane est porteuse de va leurs qui pourraient const ituer, si on voulait bien les raviver, autant de lumières dans le ciel assombri de nos dévaluations généralisées : le prètz, qui n’est pas l’argent des profits jamais redistribué, mais le respect de la paroledonnée, la générosité sans limite envers ses semblables et une foi en l’absolue égalité des hommes ; le paratge, qui désigne un idéal social où l’homme est considéré dans sa dignité d’individu libre et souverain au sein d’un Tout qui le dépasse ; et enfin la c o n v i v é n c i a qui se rapproche de notre moderne tolérance, celle qui m’autorise à converser d’éga l à égal avec mon voisin de palier, quelle que soit sa religion, son opinion politique ou sa couleur de peau.
Prètz, paratge, convivéncia : ces mots ne sont pas difficiles à traduire pour peu que l’on prête l’oreille aux aspirations des hommes et à leur droit au bonheur. – Le bonheur ? Mais vous n’y pensez pas ? – Ah bon, pourquoi ? – Enfi n, ouvr ez les yeux ! Soyez rai sonnab le et faites preuve de responsabilité, que diable ! C’est la crise !
Serge Bonnery